En pleine pandémie, le Canada expulse un nombre record de réfugiés en 2020

Selon un reportage de l’agence de presse Reuters publié le 22 janvier dernier, le Canada a expulsé 12.222 réfugiés en 2020 – le plus grand nombre de déportations depuis au moins 2015. Ce nombre record a été atteint même si les déportations ont été quasiment suspendues pendant plusieurs mois.

En effet, le 17 mars 2020, parmi les mesures limitées adoptées au début de la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau avait suspendu l’expulsion des migrants qui se trouvaient au Canada sans avoir de statut au sens des lois canadiennes sur l’immigration.

La levée de cette suspension a été annoncée le 30 novembre 2020 par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), une organisation policière qui relève du ministère de la Sécurité publique et qui est notamment chargée de procéder aux déportations.

La reprise des expulsions n’était pas due à une amélioration de la situation de la pandémie au Canada. Bien au contraire, le jour même de l’annonce, le Canada enregistrait 7.681 nouveaux cas de COVID-19, ce qui était alors le nombre quotidien le plus élevé depuis le début de la pandémie.

Le gouvernement a justifié la reprise des expulsions en pleine pandémie en évoquant la reprise des activités des compagnies aériennes, l’émergence «d’options de vaccination» et des politiques de santé publique qui ont «contribué à un degré élevé de sécurité pour les personnes renvoyées par voie aérienne».

Ces explications ne sont que des prétextes bidons, sans aucun fondement dans la réalité de la pandémie. Elles contredisent la propre position du gouvernement, qui a fermé sa frontière avec les États-Unis pour les voyages non-essentiels et vient de conclure une entente avec les compagnies aériennes pour qu’elles interrompent leurs liaisons vers les destinations soleil.

Quant aux «options de vaccination», aucune n’avait été approuvée au 30 novembre et encore aujourd’hui la campagne canadienne de vaccination se caractérise par l’improvisation, le manque de ressources et une pénurie de doses.

Les experts en santé publique continuent de mettre en garde que les voyages de toute nature constituent un risque accru et inutile de transmission, d’autant plus sérieux avec l’arrivée de variantes hautement transmissibles du virus.

Dans ces circonstances, les déportations effectuées en pleine pandémie constituent un risque mortel pour la personne expulsée et un risque de contagion dans le pays où elle est renvoyée.

Comme l’a expliqué l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (ACAADR) dans une lettre critiquant sévèrement la décision du 30 novembre, avant d’être déportée, une personne doit effectuer une multitude de déplacements dans la communauté, notamment pour se rendre dans les locaux de l’ASFC à plusieurs reprises, aller à la banque pour fermer ses comptes, chez le docteur et à la pharmacie pour obtenir les traitements et médicaments dont elle aura besoin pendant le voyage, etc. Chacune de ces activités rendues nécessaires par la déportation représente un risque d’attraper le coronavirus et de le transmettre, au Canada avant son départ ou dans son pays d’origine.

L’ACAADR a d’ailleurs noté que des déportations par les États-Unis ont causé des éclosions de COVID-19 dans plusieurs pays, dont l’Inde, Haïti, le Guatemala et le Salvador.

Par ailleurs, beaucoup des réfugiés déportés l’ont été dans des pays où le coronavirus fait rage, posant un risque accru qu’ils contractent la maladie mortelle. Le Canada a imposé un moratoire sur les expulsions vers des pays où le système politique est dit instable, comme la Syrie ou l’Iraq, mais ne fait aucune exception pour les pays particulièrement frappés par la pandémie.

Ainsi, des migrants ont pu être expulsés du Canada vers le Mexique, un pays qui fait face à une véritable catastrophe sanitaire en raison des politiques meurtrières du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et qui est désormais le troisième pays le plus endeuillé au monde avec plus de 159.000 décès attribuables à la COVID-19.

Les expulsions constituent également un risque important d’éclosions au Canada puisque des agents de l’ASFC escortent les migrants dans ces voyages aériens qui impliquent souvent des transferts dans plusieurs aéroports différents et de devoir passer des heures confinés dans un espace clos avec plusieurs personnes.

La réalité est donc que, faisant fi de la crise sanitaire et des mesures les plus élémentaires de santé publique, le gouvernement canadien a inutilement déporté des milliers de personnes, au risque de créer des éclosions d’un virus mortel au Canada et ailleurs dans le monde.

Ce développement s’inscrit dans le tournant à droite de tout l’establishment politique canadien, qui se traduit notamment par une intense agitation anti-réfugiés et anti-immigrants.

Dans la même semaine où l’ASFC déclarait la reprise des expulsions, le gouvernement Trudeau annonçait qu’il n’y aurait aucune extension du programme de régularisation des «anges gardiens » – ces réfugiés et demandeurs d’asile qui ont répondu à l’appel des gouvernements provinciaux, particulièrement celui du Québec, pour aller prêter main-forte aux travailleurs épuisés et débordés du système de santé.

Durant le printemps et l’été, alors que la pandémie faisait rage de façon incontrôlée, des groupes de défense des droits des réfugiés avaient attiré l’attention sur le rôle courageux de ces migrants. Après une période initiale de réticences, la classe dirigeante s’était emparée de cette question pour faire bonne figure et camoufler les conséquences désastreuses de sa propre politique meurtrière de retour au travail et à l’école.

En août, à la suite d’une campagne populaire pour que le statut de ces personnes soit régularisé par les gouvernements, Ottawa et Québec ont conclu un accord à ce sujet. Annoncé en grande pompe comme un geste humanitaire sous le slogan «les anges gardiens ne seront pas renvoyés», l’accord n’est en fait que de la poudre aux yeux.

Le programme est limité, assorti de multiples conditions et ne vise que les demandeurs d’asile qui ont donné directement des soins aux patients, tels les préposés aux bénéficiaires, les infirmières et les aides-infirmières. Sont ainsi laissés de côté tous ceux qui ont fait un travail tout aussi important dans les hôpitaux et les centres de soins, tels que les concierges, les cuisiniers ou les agents de sécurité.

Au total, c’est à peine 1.000 migrants – soit douze fois moins que le nombre de ceux qui ont été déportés en 2020 – qui sont couverts par le programme à travers tout le Canada et qui obtiendront le statut de résident.

Devant les vives critiques populaires du caractère restreint du programme des «anges gardiens», Ottawa et Québec ont fait mine de continuer les discussions pour en étendre la portée. Ce théâtre politique a perduré jusqu’à fin novembre lorsque le gouvernement Trudeau a annoncé que le programme ne serait finalement pas élargi et qu’il entrerait en vigueur au début décembre, en même temps que la reprise des déportations. Les médias ont rapporté que c’est le gouvernement du Québec qui refusait catégoriquement d’inclure d’autres travailleurs dans le programme.

Le gouvernement de la CAQ (Coalition avenir Québec) dirigé par François Legault, un multimillionnaire et ancien PDG, a été élu en 2018 sur la base d’un programme chauvin conjuguant le nationalisme québécois à de virulentes attaques contre les immigrants, pointés du doigt comme une menace pour les «valeurs québécoises». Depuis, il a fait de l’agitation anti-immigrants une priorité, adoptant notamment une loi pour réduire le nombre d’immigrants accueillis au Québec.

Au niveau fédéral, Trudeau, s’il se donne une image progressiste, n’en est pas moins opposé aux droits des réfugiés. En mars dernier, en violation du droit international, son gouvernement a accédé à une demande américaine et a fermé la frontière avec les États-Unis aux réfugiés fuyant la chasse aux sorcières anti-immigrants du président américain de l’époque, Donald Trump.

Le nationalisme et l’agitation anti-immigrants ont été promus par l’élite dirigeante à travers le monde pour justifier sa politique de droite, diviser la population et contenir toute opposition unifiée de la classe ouvrière.

Au Canada, sous un masque humanitaire et une posture «pro-réfugiés», le gouvernement libéral de Justin Trudeau mène une politique militariste comprenant une augmentation de 70% du budget dédié à l’armée, participe aux guerres impérialistes américaines au Moyen-Orient et ailleurs, et intègre le Canada aux campagnes agressives de Washington contre la Chine et la Russie.

Les travailleurs doivent rejeter le poison nationaliste de l’élite dirigeante et défendre les réfugiés et les travailleurs migrants – y compris le droit des travailleurs de toute origine de travailler, vivre, et avoir accès aux services sociaux et de santé dans le pays de leur choix, sans crainte d’être persécutés ou déportés.

Cependant, cela n’est possible que dans le cadre d’une mobilisation plus large de la classe ouvrière, animée d’une perspective socialiste internationale, contre les inégalités sociales, les politiques répressives de l’État capitaliste, la guerre et l’impérialisme.

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