Perspective

Un juge impose une interdiction de grève à 17.000 cheminots de BNSF

Dans un autre exemple de répression de la résistance de la classe ouvrière par les tribunaux, un juge fédéral a rendu mardi une décision interdisant à 17.000 cheminots de BNSF de faire grève contre une nouvelle politique d’assiduité.

Les États-Unis ne se lassent pas de faire la leçon aux autres pays sur leur violation des «droits de l’homme» et de la «démocratie». Mais le gouvernement américain foule aux pieds les droits des travailleurs, y compris leur droit de grève et leur droit à un environnement de travail sûr et sain. La mesure dans laquelle toutes les décisions sociales aux États-Unis sont subordonnées aux intérêts de profit d’une minuscule minorité riche est incompatible avec les formes démocratiques de gouvernement.

Les travailleurs de BNSF, le plus grand chemin de fer de marchandises des États-Unis, ont voté à la quasi-unanimité en faveur de la grève contre l’imposition unilatérale par la direction d’un nouveau système d’assiduité par points, qui doit entrer en vigueur le 1er février. BNSF, anciennement connu sous le nom de Burlington Northern Santa Fe, est une filiale à part entière de Berkshire Hathaway, société du milliardaire Warren Buffet.

Un employé du terminal ferroviaire de BNSF surveille le départ d’un train de marchandises, le 15 juin 2021, à Galesburg, en Illinois. La compagnie ferroviaire BNSF veut qu’un juge fédéral empêche deux de ses syndicats de se mettre en grève le mois prochain en raison d’une nouvelle politique d’assiduité qui pénaliserait les employés qui s’absentent du travail. (AP Photo/Shafkat Anowar, dossier) [AP Photo/Shafkat Anowar]

Les travailleurs du chemin de fer doivent faire face à des horaires brutaux rendus pires par une incertitude constante et de courts délais entre les quarts de travail, ce qui les empêche de prendre des congés pour passer du temps avec leur famille ou pour se rendre chez le médecin. Ces conditions se sont aggravées sous l’effet de la pandémie, créant un environnement de sécurité dangereux tant pour les travailleurs que pour l’ensemble de leurs communautés.

Le nouveau système, s’il est mis en œuvre, liera encore plus étroitement les travailleurs aux caprices de la direction, les réduisant au rang d’esclaves industriels sans vie en dehors du travail. Les employés qui ont des années d’expérience pourraient également être licenciés en vertu des nouvelles conditions après avoir manqué seulement quelques jours de travail.

Mais dans sa déclaration écrite de quatre pages, le juge Mark Pittman de la cour de district des États-Unis du district du nord du Texas a accordé une ordonnance d’interdiction temporaire de grève. Il a accepté l’argument de la compagnie selon lequel le nouveau système de points n’est qu’une «question mineure» sur laquelle la loi fédérale interdit les grèves dans les secteurs ferroviaire et aérien.

La décision de Pittman était motivée par des raisons politiques, et non par des raisons juridiques ou techniques. Il a déclaré: «Le dossier établit en outre qu’une grève exacerberait la crise actuelle de notre chaîne d’approvisionnement et nuirait au public en général, et pas seulement à BNSF. Une ordonnance d’interdiction temporaire servira donc l’intérêt public au lieu de le desservir». Par «intérêt public», on entend, en fait, les intérêts d’une minuscule élite patronale et financière.

La question du nouveau système n’est guère «mineure» pour les travailleurs. Elle touche l’ensemble de leurs moyens de subsistance. Même avec le système actuel, les travailleurs ont à peine un moment à consacrer à leur famille, et toute leur existence est subordonnée aux caprices de la direction.

L’assiduité n’est pas non plus «mineure» pour la classe capitaliste. La chaîne d’approvisionnement mondiale vacille au bord de l’effondrement. L’industrie automobile américaine, par exemple, ne dispose que d’une réserve de cinq jours de micropuces essentielles. Toute perturbation du flux de ces composants en provenance d’Asie de l’Est, que ce soit par l’arrêt de la production ou par des problèmes logistiques dans la livraison aux usines américaines, entraînerait des arrêts de production dans tout le pays. Des conditions similaires prévalent dans pratiquement toutes les autres industries.

Pour l’élite patronale, l’enjeu est de continuer à tirer des profits du travail de la classe ouvrière afin de payer la hausse massive du marché boursier. Ils utilisent la pandémie, qui peut se propager sans entraves dans le cadre de la stratégie meurtrière de «l’immunité collective», pour s’enrichir massivement et accroître encore plus l’exploitation des travailleurs.

La BNSF elle-même a profité de l’assouplissement des réglementations fédérales pendant la pandémie pour augmenter la longueur des trains et réduire le nombre de mécaniciens qui y travaillent. Parallèlement, l’absence quasi totale de mesures de sécurité contre la COVID sur le réseau signifie que ses trains ne transportent pas seulement des marchandises à travers le pays, mais aussi le virus mortel.

Liés à ces motifs se trouvent les préparatifs du capitalisme américain pour de nouvelles guerres catastrophiques avec ses principaux rivaux, la Russie et la Chine. La secrétaire au commerce, Gina Raimondo, a qualifié la résolution de la pénurie de micropuces d’«impératif de sécurité nationale». Il s’agit d’une référence à la dépendance de l’industrie américaine à l’égard de fournisseurs situés en Chine, où des mesures de santé publique énergiques, telles que des confinements ciblés et la recherche des contacts, ont sauvé des millions de vies, mais la classe dirigeante les juge intolérables parce qu’elles ont eu un impact sur les résultats de l’industrie manufacturière américaine, qui n’a jamais adopté de mesure comparable.

Dans les premiers mois de la pandémie, Trump a invoqué la loi sur la production de défense qui date de la guerre froide pour ordonner l’ouverture des usines de conditionnement de la viande. Dans ces usines, des dizaines de milliers de travailleurs ont été infectés et près de 300 sont morts. Biden a maintenu cet ordre exécutif en place après son investiture. En octobre dernier, Biden a menacé d’utiliser la Garde nationale pour maintenir les ports en activité en Californie du Sud. Il a négocié un accord avec les dirigeants de l’industrie et les syndicats pour qu’ils continuent à fonctionner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

En même temps, les entreprises renouent avec les méthodes de briseurs de grève des années 1980 afin de casser la résistance des travailleurs. Les directions ont obtenu des injonctions contre le piquetage lors de grèves récentes chez Kellogg’s et dans la chaîne d’épicerie King Soopers. La direction de Kellogg’s a également menacé publiquement de licencier et de remplacer en masse l’ensemble de sa main-d’œuvre dans le secteur des céréales pour mettre fin à une grève. Elle n’a pas mis sa menace à l’exécution uniquement parce que le syndicat BCTGM a conspiré avec elle pour faire passer un contrat au rabais.

Les gouvernements locaux et celui d’État contrôlés par les deux grands partis répondent de manière agressive à l’opposition des enseignants et des élèves à la réouverture des écoles. À Chicago, la maire du Parti démocrate, Lori Lightfoot, a dénoncé avec colère les enseignants qui refusaient d’enseigner en personne et a riposté par un lock-out. À Jacksonville, en Floride, les autorités locales ont empêché un débrayage des élèves pour réclamer la fermeture des écoles en augmentant la présence policière dans les écoles. Dans l’Oklahoma, des policiers sont même employés comme enseignants suppléants.

Dans l’un des incidents les plus scandaleux, un juge du Wisconsin a récemment émis une injonction qui empêche les travailleurs de la santé de quitter leur emploi dans un hôpital local pour un autre hôpital qui offre des salaires plus élevés, toujours au nom de «l’intérêt public». Cette décision – qui a été annulée en appel – fait resurgir le spectre du servage industriel, où les travailleurs sont liés à leur emploi et ne peuvent le quitter sans la permission de leurs maîtres capitalistes.

L’assaut continu contre les droits des travailleurs s’appuie sur des décennies de législation antigrève, notamment la loi réactionnaire Railway Labor Act adoptée en 1926. Cette loi, qui a ensuite été étendue à l’industrie aérienne en 1936, a eu pour effet de rendre pratiquement illégales les grèves dans l’industrie ferroviaire. Les cheminots étaient auparavant au centre de certaines des plus puissantes luttes industrielles de la classe ouvrière américaine, notamment la grande grève des chemins de fer de 1877 et la grève de Pullman de 1894.

Dans ces grèves, les travailleurs ont dépassé les questions immédiates de salaires et de conditions de travail et ont commencé à remettre en question le système de profit capitaliste lui-même. À Saint-Louis, le centre de la grève de 1877, les travailleurs socialistes ont brièvement établi une commune à l’instar de la Commune de Paris de 1871. Le leader de la grève de Pullman était Eugene Debs, qui, après avoir lu les œuvres de Marx et Engels pendant son emprisonnement suite à la répression de la grève par le gouvernement fédéral, est devenu le leader socialiste le plus connu et le plus populaire des États-Unis.

De manière significative, le juge Pittman se réfère favorablement à une citation du président Harry Truman dans une longue note de bas de page de son jugement. Truman, qui a pris ses fonctions à la mort de Franklin Roosevelt en 1945, a régulièrement invoqué la nouvelle loi sur la production de défense pour interdire les grèves au motif que les arrêts de travail entraveraient la guerre impérialiste en Corée.

La décision de mardi est une nouvelle confirmation que l’État n’est pas une arène neutre, mais un instrument de domination de classe. Les syndicats, qui s’appuient sur un programme nationaliste et procapitaliste, n’ont aucune solution à offrir. Les syndicats se plieront sans doute mollement à n’importe quel jugement pro-patronal rendu par les tribunaux.

Depuis longtemps les syndicats ont été essentiellement transformés en des auxiliaires de la direction, dirigés par des bureaucrates privilégiés aux salaires à six chiffres qui imposent des reculs aux travailleurs. Ils font échouer les initiatives des travailleurs par la farce des «négociations» et par des appels infructueux au Parti démocrate, qui est conjointement responsable de l’attaque contre les droits des travailleurs.

Cela signifie que la voie à suivre est celle des travailleurs qui prennent les choses en main. Les travailleurs de BNSF doivent s’organiser en un comité de la base qui est complètement indépendant du Syndicat Sheet Metal, Air, Rail and Transportation Union-Transportation Division (SMART-TD), du Brotherhood of Locomotive Engineers and Trainmen (BLET) et des autres syndicats afin de développer leur propre initiative indépendante et faire appel au soutien le plus large possible parmi les autres cheminots et les travailleurs d’autres industries.

Mais cette lutte n’est pas seulement une lutte économique contre l’entreprise, mais une lutte politique contre l’establishment politique capitaliste. Elle nécessite le développement d’un mouvement socialiste dans la classe ouvrière, afin de lutter pour l’utilisation démocratique des infrastructures de la société pour répondre aux besoins humains, et non pour sacrifier la santé et la sécurité au profit privé.

(Article paru en anglais le 27 janvier 2022)

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