L’élite politique du Québec lance une campagne hystérique contre l’immigration

Une nouvelle étape a été franchie dans la promotion d’un nationalisme québécois explicitement chauvin et xénophobe avec une campagne hystérique de l’élite dirigeante à propos d’un supposé «complot fédéraliste», supervisé par le premier ministre libéral canadien Justin Trudeau, pour détruire la «nation québécoise».

C’est la continuation sous une forme plus virulente de l’agitation que mène toute l’élite dirigeante québécoise depuis des années, avec l’appui des centrales syndicales et de Québec Solidaire prétendument de gauche. Parmi les moments forts de cette agitation, on peut citer:

  • la fausse controverse de 2007-08 sur les «accommodements excessifs» qu’on aurait accordés aux minorités religieuses de la province;
  • la Charte des valeurs québécoises proposée en 2013 par le Parti québécois (PQ) au pouvoir pour interdire aux employés de l’État le port de signes religieux dits ostentatoires (comme le foulard islamique) tout en tolérant la «discrète» croix catholique;
  • l’adoption par la CAQ (Coalition Avenir Québec), au gouvernement depuis 2018, d’une série de lois anti-démocratiques comme la loi 21 sur la «laïcité» qui vise notamment les femmes musulmanes et la loi 96 qui renforce le statut privilégié du français et brime les droits linguistiques des minorités.

L’hystérie actuelle, qui présente l’immigration comme une menace existentielle pour la «nation québécoise», est une provocation caractéristique de l’extrême-droite. Elle a été instiguée par le Journal de Montréal (JdM) du milliardaire, magnat de presse et ancien chef du PQ, Pierre-Karl Péladeau, et reprise en chœur par toute l’élite politique du Québec.

La une du Journal de Montréal avec un dossier spécial sur l’immigration (source: Facebook)

Elle se veut une réponse à la proposition d’un groupe de lobbyistes de la grande entreprise, Initiative du siècle, pour faire passer la population canadienne d’environ 40 millions aujourd’hui à 100 millions en 2100 au moyen de l’immigration.

Cette proposition reflète, il est vrai, les rêves de la grande entreprise d’avoir accès à un bassin plus large de main-d’œuvre pour accroitre ses profits, ainsi que les ambitions de l’impérialisme canadien d’augmenter son poids géopolitique dans le monde. Mais elle date de plusieurs années et n’a jamais été officiellement endossée par le gouvernement Trudeau.

Les nationalistes québécois cherchent aujourd’hui à en faire une «cause célèbre» pour alimenter leur discours alarmiste – basé sur de grossières exagérations – d’une «nation» en péril qui serait menacée par le raz-de-marée de l’immigration.

Dans un épais dossier spécial intitulé «Le Québec pris au piège», le JdM a soudainement «découvert» la proposition de l’Initiative du siècle pour la dépeindre comme un projet parrainé par Trudeau et les fédéralistes dans le but de «noyer» le Québec «dans une mer de 100 millions de Canadiens» largement anglophones. C’est «la survie du français en Amérique du Nord» qui serait en jeu, selon le tabloïd de droite.

Il s’agit là d’une version à la québécoise de la théorie fasciste du «grand remplacement», prônée entre autres par Marine Le Pen et Éric Zemmour en France, et des partisans de Donald Trump aux États-Unis. Cette théorie présente l’immigration «massive» comme un complot ourdi par les «élites remplacistes» – dont on sous-entend qu’elles seraient souvent juives – pour remplacer la population blanche et chrétienne par des immigrants africains et arabes en Europe, ou latino-américains et asiatiques aux États-Unis.

Le JdM a multiplié les reportages sur les conséquences qu’aurait sur le Québec l’immigration proposée par l’Initiative du siècle. Son but est de créer un sentiment de peur chez les lecteurs en leur présentant des «scénarios catastrophes» d’un Québec radicalement différent à la suite d’une immigration «de masse» encouragée par le gouvernement fédéral pour «assimiler» la province.

Celle-ci serait placée devant le choix déchirant de garder son poids démographique en accueillant plus d’immigrants, au risque d’y perdre «son identité culturelle et linguistique»; ou de sacrifier son poids démographique pour conserver son identité, au risque de devenir une province insignifiante et incapable d’influencer les politiques fédérales.

Parmi les chroniqueurs à avoir développé cet argument du «double piège», on retrouve l’idéologue de droite Mathieu Bock-Côté, souvent cité par Legault et connu pour avoir explicitement endossé la théorie du «grand remplacement» en Europe.

La perspective d’une hausse des seuils d’immigration au Québec à 110.000 par année – soit plus du double de la limite actuelle de 50.000 – est invoquée par les chroniqueurs-vedettes du JdM pour alimenter une campagne hystérique contre les immigrants et, de façon générale, toutes les personnes au Québec qui ne parlent pas français.

Ils en profitent pour faire la promotion du PQ, dont le projet d’indépendance du Québec est dépeint comme seul capable de défendre la «nation québécoise» et la langue française en Amérique face à une inévitable extinction.

Ce déferlement de chauvinisme anti-immigrants a rapidement trouvé écho dans les milieux politiques. Le 8 mai, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité – y compris avec le soutien de Québec Solidaire – une motion présentée par le PQ. Celle-ci dénonce l’Initiative du siècle et demande au gouvernement Legault de s’y «opposer officiellement» afin d’éviter le déclin de la langue française, la «marginalisation» du Québec et un «déclin de son pouvoir politique» au sein du Canada.

Le vote favorable de QS démontre une fois de plus comment ce parti de la pseudo-gauche utilise sa fausse image «progressiste» pour légitimer le nationalisme québécois le plus réactionnaire et le plus chauvin.

La défense de la langue française est aussi invoquée depuis des décennies par les centrales syndicales du Québec dans leur promotion incessante du nationalisme québécois. La conception que les travailleurs québécois devraient s’identifier à leurs patrons francophones – et non à leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, des États-Unis et d’outremer – a servi de ciment idéologique à la politique corporatiste des syndicats, c’est-à-dire leur intégration croissante à l’État capitaliste et à la grande entreprise dans un assaut frontal sur les emplois, les salaires et les services publics.

Le premier ministre du Québec, François Legault, n’allait pas tarder à dûment exprimer son opposition à l’Initiative du siècle en reprenant essentiellement les propos nationalistes-chauvins du JdM et du PQ. Le terrain avait d’ailleurs été préparé par sa ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, dans un article paru justement dans le JdM où elle réitérait que le Québec ne se laisserait pas dicter sa conduite en immigration par le fédéral et qu’il exercerait un contrôle strict afin d’éviter qu’une hausse radicale des seuils mette en danger le français et la culture québécoise.

Pour réaffirmer son propre chauvinisme, la CAQ a commencé à laisser filtrer qu’elle pourrait exiger des compétences en français à tous les immigrants temporaires voulant rester en permanence. Dans une formule crue, visiblement destinée à attiser les préjugés anti-immigrants, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibon, a fait savoir qu’«ils devront apprendre le français ou retourner chez eux».

De son côté, le Bloc québécois, parti frère du PQ sur la scène fédérale, a déposé à la Chambre des Communes une motion demandant à Ottawa de «rejeter les objectifs» de l’Initiative du siècle. La motion a été battue par les députés du Parti libéral et du NPD qui détiennent ensemble une majorité des sièges et forment à toutes fins pratiques un gouvernement de coalition dominé par les libéraux. Mais elle a été soutenue par le parti conservateur et son chef ultra-droitier Pierre Poilievre, qui courtise les nationalistes québécois dans ses efforts pour remplacer les libéraux de Trudeau par un gouvernement encore plus à droite.

Les travailleurs conscients doivent rejeter la surenchère de nationalisme québécois et de chauvinisme anti-immigrants qui fait rage aujourd’hui au sein de l’élite médiatique et politique du Québec. Le caractère hystérique de cette campagne reflète la crainte de la classe dirigeante qu’elle est en train de perdre son emprise idéologique sur la classe ouvrière dans un contexte de profonde crise économique et sociale qui a provoqué une forte remontée de la lutte des classes au Québec, au Canada et à l’échelle mondiale.

Les travailleurs anglophones, francophones, autochtones et immigrés du Canada doivent bâtir leur unité de classe – au-delà des différences de langue, religion, origine ethnique ou nationalité – dans une lutte commune contre la guerre impérialiste, l’austérité capitaliste, la persécution des réfugiés et la violation des droits démocratiques.

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