Tandis que les politiques gouvernementales permettent aux spéculateurs de l’immobilier de faire fortune

Les campements de sans-abri prolifèrent à travers le Canada

L'apparition de dizaines de campements de sans-abri dans les grandes villes et les régions, et même dans les petites villes du Canada, est un indicateur significatif de la crise catastrophique du logement qui frappe le pays. Alors que le gouvernement libéral, soutenu par les syndicats et les néo-démocrates, dépense des dizaines de milliards pour faire la guerre dans le monde et enrichir les entreprises, un nombre croissant de personnes sont contraintes de vivre en permanence dans des tentes, sans pratiquement aucun des équipements nécessaires à la vie moderne.

Campement de sans-abri à Kitchener (Ontario), devant l'ancienne usine de meubles Krug.

La défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle, a publié un rapport sous l'égide de la Commission canadienne des droits de l'homme en février. Ses conclusions notent qu'un nombre croissant de personnes vivent dans des campements de sans-abri.

Dans son rapport, elle affirme que ces conditions constituent une violation du droit à un logement adéquat. Ce constat est d'autant plus accablant que les libéraux de Trudeau, soutenus par les syndicats, ont inscrit le logement comme un droit fondamental dans la Loi sur la stratégie nationale sur le logement (LNH) de 2019, une mesure vantée par les publications libérales et les bureaucrates syndicaux comme un exemple du caractère apparemment progressiste du gouvernement Trudeau.

En février dernier, Houle a déclaré à la CBC que les campements de sans-abri étaient «une manifestation physique de l'effondrement de notre système de logement et d'aide aux sans-abri d'un océan à l'autre au Canada. Il faut prendre des mesures urgentes [...] Le gouvernement doit agir immédiatement pour sauver des vies».

Son rapport indique qu'environ 20 à 25 % des sans-abri au Canada vivent dans des campements, depuis les régions tempérées du sud jusqu'aux prairies et à la côte du Pacifique, en passant par les climats glacials et inhospitaliers du Labrador et du Nunavut. Houle a demandé au gouvernement fédéral de mettre en œuvre un plan national d'intervention dans les campements afin que les personnes qui y vivent aient accès à de l'eau potable, à de la nourriture et à des soins de santé. Elle a également demandé qu'il soit mis fin aux expulsions et que la Loi nationale sur les droits de l'homme soit renforcée.

Les estimations du nombre de sans-abri au Canada varient. Statistique Canada estime ce nombre à 235.000 personnes, dont 35.000 seraient sans abri une nuit donnée en 2019. Pour mettre ce chiffre en perspective, il équivaut à peu près aux populations combinées de l'Île-du-Prince-Édouard, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.

D'autres chiffres de l'Observatoire canadien sur le sans-abrisme situent l'estimation entre 150.000 et 300.000 personnes, soit plus, à l'extrémité supérieure, que Saskatoon, la plus grande ville de la Saskatchewan. Le chiffre réel est sans aucun doute beaucoup plus élevé, si l'on tient compte des formes de sans-abrisme caché, comme le couchsurfing [hébergement temporaire chez quelqu’un].

La mosaïque d'agences gouvernementales aux niveaux fédéral, provincial et municipal ne permet pas non plus un comptage précis. Les groupes de défense des sans-abri et les agences gouvernementales l'admettent, notant que ces chiffres sont au mieux des estimations fantaisistes. Si le sans-abrisme visible, tel que celui des personnes vivant dans des campements et des refuges pour sans-abri, est relativement bien documenté, le sans-abrisme caché, c'est-à-dire celui des personnes qui «surfent sur un canapé» ou qui n'ont pas d'adresse fixe, est moins bien couvert.

Cependant, les données de recensement, les sondages et les enquêtes ponctuelles (PiT) permettent de faire la lumière sur l'ampleur de la crise. La dernière enquête ponctuelle menée par Infrastructure Canada, l'agence du gouvernement fédéral qui supervise actuellement la politique nationale relative au sans-abrisme, fournit des conclusions accablantes sur l'ampleur du sans-abrisme au Canada. Publiée fin 2022, elle donne un aperçu de l'ampleur de la crise dans 87 communautés à travers le pays. Cette enquête note que :

  • 40.000 personnes se sont retrouvées sans domicile au cours d'une nuit donnée, soit 5000 de plus qu'en 2019.

  • Parmi les 67 communautés et régions qui ont participé à l'enquête en 2018 et en 2022, le nombre total de sans-abri a augmenté de 20 %.

  • Le nombre de sans-abri non hébergés a augmenté de 88 % par rapport à 2018.

  • Soulignant le fardeau que la pandémie fait peser sur les plus vulnérables, les comptages effectués au milieu de la pandémie de COVID-19 ont fait état d'une augmentation de 125 % des sans-abri non hébergés et d'une augmentation de 57 % de l'utilisation des centres d'hébergement. Il s'agit là d'une révélation accablante de la stratégie du gouvernement canadien qui consiste à privilégier les profits avant la vie et à maintenir l'essor des entreprises alors que les travailleurs, les étudiants, les personnes âgées et les plus vulnérables, comme les sans-abri, sont infectés par une maladie débilitante et potentiellement mortelle.

  • Le nombre de sans-abri chroniques a augmenté, 69 % des personnes interrogées déclarant avoir connu cette situation, contre 60 % en 2018. Le sans-abrisme chronique est généralement défini comme une personne qui connaît jusqu'à six mois ou plus de sans-abrisme.

  • Sans surprise, la principale raison invoquée par les personnes interrogées pour expliquer le sans-abrisme est le fait de ne pas disposer d'un revenu suffisant pour couvrir les frais de logement. La violence domestique, les problèmes de santé mentale et de toxicomanie ont également été cités.

L’enquête comprend également des données démographiques révélatrices concernant le sans-abrisme. Sur la base de 25.000 enquêtes couvrant les 87 municipalités qui ont participé à l'étude, il a été découvert que 55 % des personnes interrogées appartenaient à la cohorte des 25-49 ans. La deuxième cohorte la plus nombreuse est celle des 50-64 ans, qui représente 24 % des personnes interrogées. En d'autres termes, la plupart des sans-abri sont en âge de travailler, ce qui correspond à d'autres recherches démontrant un nombre croissant de sans-abri ayant un emploi et incapables de payer des loyers exorbitants et d'autres coûts de la vie quotidienne. Les autochtones sont également surreprésentés, avec environ 30 à 35 % de la population sans-abri, alors qu'ils ne représentent que 5 % de la population totale.

Un problème pancanadien

Vancouver, en Colombie-Britannique, a connu une augmentation marquée du nombre de sans-abri depuis le début de la pandémie, avec une population de sans-abri passant de 3634 en 2020 à 4821 en 2024, soit une augmentation de 32 %, selon un reportage cité par la CBC. Dans les Prairies, l'Alberta compte plus de 8000 sans-abri à Calgary et Edmonton, Regina et Saskatoon en Saskatchewan ont signalé au moins 1000 sans-abri lors de récentes enquêtes ponctuelles, et Winnipeg, au Manitoba, compte au moins 1000 personnes dormant sans logement.

L'Ontario, la province la plus peuplée du Canada, compte jusqu'à 16.000 sans-abri par nuit, dont 8000 à Toronto. La ville la plus peuplée du Canada, qui abrite les spéculateurs financiers de Bay Street, ne dispose de suffisamment d'espace dans ses refuges que pour héberger 2000 personnes par nuit. Des villes plus petites et désindustrialisées de la région du Grand Toronto ont également connu une prolifération des campements de sans-abri, notamment Hamilton, Kitchener-Waterloo et Oshawa.

On estime à 10.000 le nombre de sans-abri au Québec, dont près de la moitié à Montréal. La ville de Québec a connu une augmentation de 32 % du nombre de sans-abri depuis 2018, selon Radio-Canada. D'importants campements de sans-abri existent également dans le Canada atlantique. Des centaines de personnes vivent dans des villages de tentes, dont environ 800 à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et 900 à St John's, à Terre-Neuve.

Aussi sinistres que soient tous ces chiffres sur la détresse sociale, ils sont invariablement sous-estimés pour les raisons mentionnées ci-dessus. S'adressant à CBC News, Brenna Jarrar, directrice du logement pour la Nunatsiavut Housing Commission, a commenté la sous-estimation du nombre de sans-abri au Canada. Outre le fait que le gouvernement du Labrador manque de personnel, elle a également souligné que la population sans-abri ne se trouve pas toujours dans les refuges. Notant le manque de ressources allouées à la crise des sans-abri, So a fait remarquer : «Je pense qu'il s'agit d'un problème où l'on réclame souvent de l'attention et qu'il n'y en a pas assez pour tout le monde, alors qu'il y a une telle crise partout.»

Campements impropres à l'habitation humaine

Les conditions de vie dans les campements à travers le Canada sont universellement sordides. Les tentes et autres formes d'abris de fortune sont tout à fait inadéquates pour abriter les personnes des éléments, en particulier des rudes hivers canadiens. Les tentatives improvisées pour chauffer les campements conduisent régulièrement à des décès tragiques dans les campements de sans-abri.

Un reportage du Ottawa Citizen indique que deux sans-abri sont morts dans un camp de sans-abri dans la capitale nationale du Canada en essayant de chauffer leur tente en brûlant du désinfectant pour les mains dans une boîte métallique et en allumant leur tente avec des bougies. Un autre décès lié à l'incendie d'un campement a été signalé l'hiver dernier à St-John, au Nouveau-Brunswick. Trois sans-abri sont morts dans l'incendie d'un campement dans le stationnement d’un Lowes à Calgary en décembre dernier.

Ces décès ne sont qu'un aperçu du tragique bilan humain de l'itinérance au Canada. Selon un rapport de la Calgary Homelessness Foundation, 436 personnes ont péri dans les rues de Calgary en 2023, soit près du double du bilan de 2022.

Toronto a fait état de 91 décès dans les refuges pour sans-abri en 2023. Selon l'Annual Review of Homeless Deaths publié par la ville, environ la moitié de ces décès pourraient être attribués à une surdose d'opioïdes, soit une baisse de 19 % par rapport à l'année précédente.

À Vancouver, 51 personnes sans domicile fixe sont décédées l'année dernière. Le problème est devenu si visible que la ville s'est sentie obligée de déclarer le sans-abrisme «urgence civile» en novembre dernier.

La province de Québec n'enregistre pas de statistiques sur le nombre de décès, même pour les personnes hébergées dans des refuges. Il n'existe pas de base de données centrale indiquant le nombre de sans-abri qui meurent chaque année. Les estimations ne peuvent être obtenues qu'à partir des statistiques municipales et des informations diffusées par les médias. Une chose est claire : le gouvernement ne considère pas ce problème comme important.

Outre les conditions déplorables liées à l'exposition, les sans-abri au Canada sont également confrontés à d'importants problèmes de santé. L'enquête ponctuelle 2022 indique que 85 % des personnes interrogées ont au moins un problème de santé important. Les problèmes de toxicomanie arrivent en tête de liste, 61 % des personnes interrogées les citant comme un problème majeur, suivis de près par les problèmes de santé mentale (60 %). Les problèmes de dépendance au crack et au fentanyl compliquent encore le tableau, car ils entraînent souvent des surdoses.

L'accès à des installations sanitaires adéquates pose également problème, car les campements sont dépourvus des commodités dont bénéficieraient les personnes hébergées, telles que l'eau potable. Les conditions de vie insalubres peuvent attirer les rongeurs. Les rats, par exemple, ont constitué un problème dans un campement de sans-abri à Kitchener, en Ontario, et ont représenté une menace importante pour la santé des résidents. Les autorités réagissent invariablement à ces problèmes et à d'autres, non pas en offrant aux sans-abri l'aide dont ils ont tant besoin, mais en déployant la police pour disperser violemment les camps et criminaliser les habitants.

Le principal facteur contribuant au sans-abrisme et à la croissance rapide des campements de sans-abri est l'augmentation stratosphérique des loyers dans tout le pays. Le loyer médian à Toronto s'élevait à 2600 $ en juillet, ce qui est bien au-delà des moyens d'une personne travaillant à temps plein au salaire minimum, qui s'élève actuellement à 16,55 $ de l'heure, ce qui est dérisoire. Le simple fait d'être en mesure de couvrir le coût du loyer est extrêmement difficile pour de nombreuses personnes qui disposent d'un revenu fixe tel qu'une pension ou des allocations d'invalidité, comme c'est le cas pour de nombreux sans-abri.

Comme indiqué ci-dessus, l'accessibilité financière est citée comme la principale raison par de nombreux répondants à l'enquête ponctuelle 2022 dans toutes les cohortes sauf la plus jeune. Environ un tiers de tous les répondants des cohortes de 25 ans ou plus ont cité l'insuffisance des revenus comme un obstacle à l'obtention d'un logement.

L'augmentation des loyers est due au fait que les capitaux recherchent des sources de profit de plus en plus importantes, provenant d'un maximum de sources «diversifiées». Les rénovictions sont l'une des formes d'expression de ce phénomène. Ce terme désigne la procédure juridique par laquelle un propriétaire peut expulser un locataire pour «rénover» un appartement (dans la pratique, ils ne changent pratiquement rien) et le remettre sur le marché à un prix beaucoup plus élevé.

Selon un reportage de Macleans, Hamilton a connu une augmentation de 983 % des avis de rénoviction entre 2017 et 2022. Les locataires expulsés sont aussi bien des mères célibataires que des familles ou des personnes âgées. Des histoires similaires se déroulent à Toronto, où les refuges pour sans-abri ont remarqué une augmentation de 30 % des personnes entrant dans les refuges pour la première fois en raison des rénovictions.

La spéculation sur les propriétés résidentielles sous la forme de véhicules d'investissement tels que les fonds d'investissement immobilier (REIT) est un autre exemple flagrant de l'appât du gain à l'œuvre dans le secteur du logement. Halifax est un exemple typique, où deux REIT, Killam Apartment REIT et CAPREIT, dominent le marché de la location.

Killam Apartment REIT a déclaré un revenu d'exploitation net de 15,24 millions de dollars à la fin du dernier trimestre, soit une augmentation de 12 % par rapport à l'année précédente, tandis que CAPREIT a déclaré 9,24 millions de dollars, soit une augmentation de près de 14 % par rapport à l'année précédente. Les REIT ont augmenté les loyers de 19,6 % et 23 % respectivement, pour les nouveaux locataires.

(Article paru en anglais le 9 août 2024)

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