Le rapporteur spécial de l’ONU qualifie le programme des travailleurs étrangers temporaires du Canada de «terrain propice aux formes contemporaines d'esclavage»

Le rapporteur spécial des Nations unies, Tomoya Obokata, a réitéré et amplifié sa condamnation du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) du Canada, qu'il considère comme un «terrain propice aux formes contemporaines d'esclavage». Sa conclusion est une mise en évidence dévastatrice des affirmations selon lesquelles le Canada est un ardent défenseur des «droits de l'homme» et une société «progressiste», qui sont si assidûment promues par le gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau, les néo-démocrates et leurs soutiens dans les syndicats et la pseudo-gauche.

Lorsque Obokata a dénoncé pour la première fois le PTET, à la suite d'une visite de recherche au Canada l'année dernière, ses conclusions ont été largement accueillies dans l'indifférence. Son rapport final a fait l'objet d'une discussion beaucoup plus large dans les médias. Loin d'exprimer une quelconque préoccupation pour le sort des travailleurs migrants pauvres, la couverture médiatique a été une tentative cynique et opportuniste d'utiliser leur sort comme munition dans la campagne actuelle contre les immigrants et l'immigration, lancée par l'extrême droite.

Contraints de vivre dans des conditions semblables à celles d'un baraquement, les travailleurs agricoles migrants ont été durement touchés par les multiples vagues de la pandémie de COVID-19. [Photo: Migrant Workers Alliance for Change ]

Le rapport final d'Obokata révèle que le programme canadien de travailleurs étrangers temporaires, qui permet de s'assurer une main-d'œuvre bon marché en provenance de pays pauvres, engendre des formes contemporaines d'esclavage et d'exploitation.

Les commentaires d'Obokata font suite à une tournée de deux semaines au Canada pour évaluer l'état de préparation du gouvernement pour réagir à l'esclavage moderne, y compris le travail forcé et d'autres formes d'abus. Le rapport, qui s'appuie sur des réunions avec des fonctionnaires, des universitaires et des travailleurs migrants, met en évidence l'exploitation de la main-d'œuvre migrante dans le cadre du PTET, en particulier dans l'agriculture. Il note que les permis de travail spécifiques aux employeurs rendent les travailleurs migrants vulnérables aux abus, car ils ont peu de droits juridiques et craignent d'être expulsés s'ils s'expriment ou tentent de dénoncer les abus aux autorités.

L'article initial du World Socialist Web Site sur la visite du rapporteur spécial de l'ONU décrivait certaines des conditions inhumaines qu'il a documentées dans son rapport initial :

  • Des permis de travail fermés destinés à lier les travailleurs migrants à leurs employeurs sous la menace d'une expulsion ;

  • Des conditions de vie épouvantables et surpeuplées ;

  • Les bas salaires, l'absence de rémunération des heures supplémentaires et les longues heures de travail (les quarts de travail de 12 heures sont courants) ;

  • Le fait d'imposer aux travailleurs des tâches extracontractuelles qui ne sont pas stipulées dans leurs accords ;

  • Le harcèlement sexuel, l'intimidation et la violence de la part des employeurs ;

  • Le refus d'accès aux soins de santé et/ou au transport vers les établissements médicaux ;

  • Le manque d'accès aux services sociaux, y compris les cours de langue et autres aides pour les nouveaux arrivants ;

  • La servitude pour dettes fréquente auprès des recruteurs dans leur pays d'origine.

Si l'exploitation de la main-d'œuvre migrante a une longue histoire en Amérique du Nord, sa forme contemporaine au Canada date de la fin de la période d'après-guerre. Le PTET, officialisé en 1973 sous le gouvernement libéral de Pierre-Elliott Trudeau, s'inscrit dans le prolongement de programmes antérieurs visant à remédier aux «pénuries de main-d'œuvre» par l'importation de travailleurs migrants, en particulier des Caraïbes et de l'Amérique latine.

Au cours des cinquante dernières années, le PTET a permis aux employeurs d'engranger d'importants bénéfices en exploitant brutalement des travailleurs migrants qui cherchaient désespérément un moyen de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille et de trouver un moyen d'obtenir le statut de résident permanent au Canada.

Sous le gouvernement conservateur de Harper, le nombre de travailleurs étrangers temporaires est passé de 30.000 en 2008-2009 à plus de 110.000. En 2023, ce nombre avait plus que doublé pour atteindre 240.000, selon les données d'Emploi et Développement social Canada (EDSC), les libéraux ayant répondu aux appels des employeurs pour remédier aux «pénuries de main-d'œuvre», tout en continuant à interdire la plupart des immigrations de travailleurs non professionnels ou non qualifiés dans le cadre du système «de points» d'immigration discriminatoire du Canada.

L'augmentation de la demande de main-d'œuvre la moins chère possible doit elle-même être considérée comme un symptôme de l'aggravation rapide de la crise du capitalisme mondial, qui a touché le Canada en particulier à la suite de l'éruption de la pandémie de COVID-19 en 2020. L'exploitation des travailleurs temporaires s'accompagne de pressions et d'attaques constantes sur les conditions de travail et les normes sociales de tous les travailleurs.

Le PTET n'est pas seulement un moyen pour les employeurs de contourner les protections juridiques et les conditions de vie réservées aux citoyens canadiens. Il sert également de mécanisme pour l'affaiblissement systématique de ces conditions, puisque les méthodes utilisées contre les sections les plus vulnérables de la classe ouvrière sont invariablement étendues à l'ensemble de l'économie. C'est l'une des raisons pour lesquelles tous les travailleurs, quel que soit leur statut d'immigration ou leur origine nationale, ont un intérêt direct à défendre les droits de tous les travailleurs migrants.

Une partie des médias et de l'establishment politique s'est emparée du rapport d'Obokata pour condamner de la droite la politique d'immigration du gouvernement libéral.

Au cours de l'année écoulée, la classe dirigeante s'est déchaînée sur la prétendue «crise de l'immigration» au Canada. Le chef du Parti conservateur d'extrême droite Pierre Poilievre, le gouvernement québécois de la CAQ, le Parti québécois (PQ) indépendantiste et les principaux médias ne cessent d'affirmer que l'immigration est la cause première ou principale de la crise du logement et de la pénurie de services sociaux.

Alors qu'une grande partie des grandes entreprises soutenait l'augmentation du nombre de travailleurs étrangers temporaires comme moyen d'approvisionner le capital canadien en main-d'œuvre bon marché, la grande entreprise, ou du moins une section importante, effrayée par la croissance de l'opposition sociale, a rejoint l'attaque contre la politique d'immigration supposée «ouverte» des libéraux et encourage les forces d'extrême droite et les forces carrément fascistes qui sont le fer de lance de l'agitation anti-immigrés.

En novembre 2023, le ministre de l'Immigration, Marc Miller, a annoncé que l'objectif d'arrivée de résidents permanents au Canada serait limité à 500.000 pendant deux années consécutives. Cette annonce a été suivie en janvier 2024 par l'imposition d'un plafond de 360.000 sur les permis d'admission pour les visas d'étudiants. En mars, Miller a annoncé des restrictions sur l'immigration temporaire. Pour la première fois, les arrivées de résidents non permanents (RNP) seront limitées de la même manière que le nombre de résidents permanents.

Le rapport d'Obokata a critiqué le dernier changement de politique du gouvernement, notant que la réduction des arrivées de RNP ne résoudra pas la nature abusive du PTET lui-même.

La réponse du gouvernement est plutôt conforme aux exigences de l'extrême droite, qui tente cyniquement d'utiliser le sort des travailleurs migrants comme argument contre l'immigration.

C'est ce qui ressort clairement d'une conférence de presse tenue au début du mois à Hamilton, en Ontario, par Poilievre. Le dirigeant conservateur, qui dénonce régulièrement les médias bourgeois pour leur «partialité libérale» et évite généralement les conférences de presse, a fait appel à un journaliste du média d'extrême droite Rebel News, qui a défendu le «Convoi de la liberté» à l'instigation des fascistes lorsqu'il a occupé de manière menaçante le centre-ville d'Ottawa en 2022, et qui fait la promotion du fasciste britannique Tommy Robinson.

Dans ce qui était manifestement un échange planifié, le journaliste de Rebel News a demandé à Poilievre ce qu'un gouvernement conservateur ferait pour «empêcher les travailleurs étrangers temporaires de prendre les emplois des jeunes Canadiens au chômage». En réponse, Poilievre a dénoncé Trudeau pour avoir «détruit l'ensemble de notre système d'immigration [...] il a élargi le programme des travailleurs étrangers temporaires de plus de 200 % à un moment où nous perdons des emplois». Il a ensuite dénoncé le programme pour avoir fait venir des travailleurs migrants qui, soi-disant, «enlèvent des emplois aux travailleurs canadiens ou réduisent leurs salaires». «Je mets les entreprises canadiennes au défi d'embaucher d'abord des travailleurs canadiens», a poursuivi Poilievre, «et je mets le gouvernement au défi de mettre fin au chaos qui règne dans le programme des travailleurs étrangers temporaires».

En Grande-Bretagne, une agitation similaire de l'extrême droite par l'establishment politique, y compris le gouvernement travailliste, a enhardi des fascistes comme Tommy Robinson à mener des émeutes d'extrême droite dans les villes à forte population immigrée.

Contrairement à ce que prétend l'extrême droite, la pression sur les salaires des travailleurs n'est pas due à l'importation de main-d'œuvre bon marché. Ces deux processus sont des symptômes de l'aggravation de la crise capitaliste mondiale, que la classe dirigeante de chaque pays cherche à surmonter en intensifiant l'exploitation de la classe ouvrière.

Les travailleurs doivent reconnaître que le débat officiel de la classe dirigeante sur l'immigration est une tentative de pousser la politique nettement à droite. La classe dirigeante cherche à diviser la classe ouvrière et à faire des immigrants et des réfugiés les boucs émissaires de la misère sociale engendrée par le capitalisme et ses politiques de guerre à l'étranger et d'austérité à l'intérieur du pays. Dans une tentative désespérée de compenser le manque de soutien populaire à leurs politiques, les politiciens canadiens attisent la xénophobie et le nationalisme alors qu'ils mènent une guerre impérialiste contre la Russie et se préparent à la guerre avec la Chine.

Le rapport d'Obokata porte un coup dévastateur à ceux qui cherchent encore à présenter le Canada comme un havre de paix et un défenseur des droits de l'homme. Le fait que ce rapport soit utilisé pour attiser les flammes du programme anti-immigration de l'extrême droite souligne le stade avancé de la crise sociale et politique au Canada. Surtout, il souligne l'urgence pour la classe ouvrière de se libérer de l'emprise politique des syndicats pro-capitalistes, qui soutiennent résolument l'alliance gouvernementale entre les libéraux et les néo-démocrates, et de lutter pour un gouvernement ouvrier qui fera passer les besoins sociaux avant le profit capitaliste.

(Article paru en anglais le 21 août 2024)

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