Travail d’écrivaillon contre Histoire: Le Parti a toujours raisonL’histoire inédite de Gerry Healy et du trotskisme britannique, d’Aidan Beatty

Le professeur Aidan Beatty, actuellement maître de conférences à l'Institut Carnegie Mellon de Pittsburgh, a annoncé la publication prochaine en septembre de son livre, Le Parti a toujours raison - l’histoire méconnue de Gerry Healy et du trotskysme britannique

Le World Socialist Web Site publiera sa critique détaillée lorsque le livre sera officiellement publié. Mais ayant déjà reçu et lu un exemplaire de presse, je dirai dès à présent que Beatty a produit un travail de scribouillard tout à fait dégoûtant.

Le ton dégradant et même dérangé de Beatty se met en place dès les premières phrases:

Il s’agit d’un livre sur un Irlandais autoritaire et violent nommé Gerry Healy, et sur le monde politique qu’il a contribué à créer… C’est une histoire de violence et de scandales, d’abus sexuels, de sectes, de théories du complot, de célébrités égarées, et peut-être aussi d’espionnage international et de meurtre; et au cœur de tout cela se trouve un homme, Healy… un individu profondément laid… La laideur physique de Healy était souvent évoquée comme un signe de laideur politique et morale plus profonde. [xvi]

Ce livre ne répond à aucune des exigences élémentaires d'une biographie. La vie du sujet est présentée hors de tout contexte historique attentivement examiné. Pourquoi et comment Healy, né en Irlande et élevé pendant la guerre civile, a fait la transition de l'idéologie nationaliste dominante à l'internationalisme marxiste n'est pas examiné, et encore moins expliqué. Les questions politiques, en Grande-Bretagne et à l'étranger, que Healy a dû affronter au cours du demi-siècle qu’il a passé dans la Quatrième Internationale sont à peine évoqués.

Gerry Healy, 1964

Les raisons de l’existence de la Quatrième Internationale, les questions politiques sous-jacentes de la lutte contre le stalinisme, les conflits qui ont donné lieu à la scission de la Quatrième Internationale en 1953 et à la formation du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), ainsi que la rupture ultérieure du CIQI d’avec le Socialist Workers Party américain en 1963 sont, pour la plupart, ignorés. Hormis quelques remarques décousues, sans contenu politique sérieux, il n’y a pas d’analyse des raisons de l’émergence de Healy comme figure majeure du mouvement trotskyste mondial. Il n’y a pas non plus d’examen des origines politiques ni du développement de la crise dévastatrice qui a coïncidé avec la révélation des graves abus de Healy envers les cadres du parti, et qui a éclaté au sein du Workers Revolutionary Party (WRP) en 1985.

En fait, Beatty n’a pas pu discuter ni clarifier ces questions simplement parce qu’il a entrepris – ou, peut-être plus précisément, parce qu’il a été chargé – d’écrire une biographie de Healy sans rien savoir de l’histoire du mouvement trotskyste en Grande-Bretagne ou, d’ailleurs, de la Quatrième Internationale.

Dans ce qui équivaut à un étonnant aveu d’ignorance, Beatty écrit dans les remerciements au début du volume:

Je ne me souviens pas de la première fois où j’ai entendu parler de Gerry Healy, mais au tout début de l’année 2020, j’avais commencé à rassembler des informations sur lui, sans savoir si cela donnerait lieu à un article journalistique de fond ou à un article universitaire idiosyncratique. [ix]

En un peu plus de deux ans, Beatty est passé de l’ignorance du sujet de sa biographie à la conclusion définitive que Gerry Healy était un monstre. Cependant, il est évident que Beatty est parti de cette conclusion prédéterminée et s’est mis à rassembler les éléments dont il avait besoin pour étayer sa «thèse». Ainsi, Beatty a construit son livre en contactant et en interviewant autant d’ennemis politiques et personnels de Healy qu’il a pu trouver. Une recherche rapide sur Google lui aura fourni de nombreux témoins potentiels de l’accusation.

Beatty écrit: «En 2022 et 2023, j’ai mené des entretiens approfondis avec d’anciens membres de la SLL [Socialist Labour League] et du WRP, des membres de groupes apparentés et des militants de la gauche au sens large.» [xi] Ce que Beatty appelle «l’histoire orale» consiste à transcrire et à publier les dénonciations, les mensonges et les demi-vérités colportés par nombre de ses interlocuteurs, qui ont été affiliés à des organisations opposées au Workers Revolutionary Party ou sont d’anciens membres du WRP qui ont abandonné depuis longtemps le mouvement socialiste et sont même devenus anticommunistes.

Je fais cependant partie des personnes contactées par Beatty, qui écrit dans sa «Note sur les entretiens»:

David North a d'abord exprimé son intérêt pour une interview jusqu'à ce qu'après plusieurs semaines d'attente, il m'envoie une série de messages de colère et de condamnation. Il m'a ensuite dénoncé, ainsi que le livre, dans un message public sur Twitter. [xi]

Il existe un compte rendu de mes échanges avec Beatty, qui explique clairement les raisons pour lesquelles j’ai rejeté sa demande d’interview.

Le 9 janvier 2022, Beatty a déposé une demande sur le formulaire de contact du World Socialist Web Site, qui disait:

Bonjour, je suis historien à l'Université de Pittsburgh et je fais actuellement des recherches sur l'histoire du trotskysme britannique, en me concentrant plus particulièrement sur Gerry Healy et le Workers Revolutionary party. Je suis intéressé par la réalisation d'entretiens oraux à ce sujet et j'aimerais inviter David North à faire une interview avec moi. Avez-vous des coordonnées pour le contacter ou seriez-vous prêt à lui transmettre cet e-mail? Merci de votre temps, Aidan

J'ai répondu plus tard le même jour, demandant plus d'informations sur les objectifs de son projet:

Cher professeur Beatty,

Votre lettre m’a été transmise.

Avant d'accepter une interview, j'aimerais en savoir plus sur votre projet.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce projet? En quoi consistent vos recherches? Connaissez-vous bien l'histoire du Workers Revolutionary Party et la carrière de Gerry Healy?

Pourquoi souhaitez-vous m'interviewer?

J'attends votre réponse avec impatience.

Cordialement,

David North

Beatty a répondu le 10 janvier 2022:

Cher David

Merci de m’avoir recontacté.

Je dirais que j’ai une bonne connaissance de l’histoire du Workers Revolutionary Party ainsi que de la Socialist Labour League (mais je serai heureux d’être mis au défi sur ce point!). Je fais des recherches sur eux depuis environ deux ans maintenant et j’ai lu beaucoup de leurs publications – à la fois leurs journaux et les divers pamphlets qu’ils ont produits. J’ai également lu vos travaux publiés qui traitent directement ou indirectement de Healy et du WRP (par exemple la brochure que vous avez écrite sur lui en 1991 et votre histoire générale de la Quatrième Internationale).

À ce stade de mes recherches, j’ai le sentiment d’avoir atteint deux impasses (et j’espère que le fait d’interviewer des gens comme vous qui ont connu Healy et/ou qui ont eu divers types d’interactions avec le WRP m’aidera à y voir plus clair):

1. J’ai vraiment du mal avec l’image de Healy qui ressort de beaucoup d’ouvrages publiés sur lui (qu’il était violent, qu’il était un orateur public exécrable qui donnait d’interminables conférences sur des interprétations à moitié abouties de la philosophie hégélienne) et avec l’image contradictoire que certaines personnes ont encore de lui, qu’il était un marxiste de haut niveau et un dirigeant attachant et charismatique qui était capable de convaincre ses partisans qu’une révolution était imminente au Royaume-Uni. Il semble vraiment y avoir une limite à ce que je peux apprendre sur Healy à partir de sources textuelles, donc il serait vraiment utile que je puisse parler à des gens qui l’ont réellement connu. J’espère que cela m’aidera à étoffer la description de lui que je pourrai proposer dans un futur livre.

2. Il y a une quantité énorme d’accusations et de contre-accusations qui tourbillonnent autour de lui et il est très difficile de raconter une histoire simple à ce sujet. J’ai également trouvé de nombreuses preuves que Healy a inventé des histoires sur son enfance. Dans ce contexte, je serais vraiment intéressé de vous poser quelques questions de clarification sur Healy et le WRP, car j’essaie de séparer les faits de la fiction.

Mon objectif général en écrivant sur Healy est d’essayer d’écrire une histoire générale de son courant socialiste et des leçons (principalement négatives) que les socialistes d’aujourd’hui peuvent tirer des activités de la SLL et du WRP. Une autre motivation pour moi est que je suis originaire de Galway, la partie de l’Irlande dont Healy était également originaire, et parmi les socialistes de cette partie de l’Irlande, il jette toujours une sorte d’ombre étrange – il a clairement eu une période où il a pu exercer une influence sur au moins une partie de la gauche mondiale et pourtant il a fait des choses qui étaient complètement en contradiction avec toute forme de socialisme authentique. En conséquence, j’ai un certain intérêt personnel pour sa biographie (même si ce n’est évidemment pas une motivation particulièrement sérieuse, à côté de mes raisons, je l’espère, plus sérieuses pour vouloir faire des recherches sur le WRP).

Si tout cela vous semble acceptable, n’hésitez pas à me le faire savoir. Je serais heureux de le faire via Zoom ou Skype. Je serais également heureux de le faire en personne, si le COVID le permet. La famille de ma femme vit juste à l’extérieur de Détroit, donc j’y vais régulièrement (et je crois comprendre que vous vivez à Détroit, n’est-ce pas?).

Merci de votre temps.

Aidan

Comme la lettre de Beatty semblait indiquer qu’il se consacrait à des recherches sérieuses, j’ai accepté de discuter avec lui de la possibilité d’une entrevue. Je lui ai répondu plus tard, le 10  janvier:

Cher Aidan,

Je suis prêt à avoir au moins une discussion préliminaire avec vous.

Il ne fait aucun doute que Gerry Healy était un personnage politique extrêmement complexe et compliqué.

J’ai eu une relation politique très étroite avec Healy, comme avec Mike Banda et Cliff Slaughter, entre 1974 et 1985. Dans la dernière partie de cette période, j’ai développé des différences politiques fondamentales et intensivement documentées avec chacun d’entre eux. Cependant, je n’ai jamais développé d’animosité personnelle, et encore moins de haine, envers aucun de ces hommes. Même lorsque j’étais obligé d’exprimer mes différences dans les termes les plus vifs, j’étais toujours conscient du rôle vraiment important qu’ils avaient tous joué dans la construction du mouvement trotskyste.

Je fais ces remarques parce que presque tout ce qui a été dit et écrit sur Healy l’a été par des gens qui n’ont jamais exprimé de différences avec lui pendant leur période d’adhésion à la SLL et au WRP, et qui ensuite – après avoir abandonné le mouvement trotskyste – l’ont dépeint comme un monstre.

Faites-moi savoir quand vous souhaitez participer à un appel Zoom.

Cordialement,

David

Beatty répondit le 11 janvier 2022 :

Salut David

Merci beaucoup d'avoir accepté. Je partage tout à fait votre point de vue selon lequel se montrer hostile envers quelqu'un est une impasse. Essayer d'analyser sérieusement sa politique est bien plus ce que je souhaite faire.

Seriez-vous libre à tout moment le lundi 17 pour parler? Je suis libre toute la journée, si vous avez un créneau horaire qui vous convienne.

Tous mes vœux

Aidan

Rétrospectivement, il est évident que Beatty dissimulait ses véritables intentions. Quoi qu’il en soit, je voulais obtenir plus d’informations avant d’accepter une entrevue formelle. J’ai répondu le jour même (11 janvier):

Aidan,

Mon emploi du temps est quelque peu instable la semaine prochaine. Auriez-vous du temps demain ou jeudi? Comme je l’ai dit, ce serait une discussion préliminaire qui me donnerait une meilleure idée de la portée de vos recherches. Je pense que cela vous aiderait également à décider si ma contribution est utile à vos efforts.

Je ne sais pas qui vous a dit que Healy était «un orateur public exécrable». Il était sans doute le plus grand orateur public actif dans le mouvement ouvrier britannique après la Seconde Guerre mondiale. Il était certainement l’égal de Bevan, et probablement meilleur. J’ai vu Healy parler devant des auditoires de masse, comptant des milliers de personnes. Il avait une capacité étonnante à inspirer un public de la classe ouvrière, à lui transmettre un sentiment de son pouvoir en tant que force sociale. Et il y avait un véritable contenu dans ce qu’il disait.

Bien sûr, ses conférences sur la philosophie – en particulier dans les années de crise croissante au sein du WRP (et dans toutes les parties du mouvement ouvrier) – ont révélé une désorientation théorique et politique considérable. Mais ce qu’il avait à dire, même s’il avait tort, n’était pas absurde.

Je rappelle ces points uniquement pour souligner qu’un livre sur Healy soulève de nombreuses questions politiques, théoriques et historiques complexes. Il était, à juste titre, une figure politique majeure du mouvement socialiste révolutionnaire. Malheureusement, «le bien que font les hommes est souvent enterré avec leurs os…»

Je ne sais pas si vous avez lu les premières sections de ma nécrologie de Cliff Slaughter, publiée après sa mort en mai dernier. Elles retracent l’histoire de sa vie jusqu’en 1963, et Healy joue un rôle important dans ce récit. Voici le lien: https://www.wsws.org/en/articles/2021/08/05/slau-a05.html

Ce document devrait vous donner une idée de mon approche de la biographie politique. J’essaie d’être objectif même lorsque – ou devrais-je dire «surtout lorsque» – j’écris sur ceux qui sont devenus des ennemis politiques.

Cordialement,

David

S’ensuivirent plusieurs échanges de courriels dans le but de planifier une discussion préliminaire via WhatsApp, qui eut lieu le 12 janvier 2022. Cette discussion ne dissipa pas mes inquiétudes. Bien au contraire. Il devint rapidement évident que Beatty ne comprenait ni ne connaissait les fondements du marxisme, et encore moins les expériences historiques et le programme du mouvement trotskyste. Rien n’indiquait qu’il eût étudié un seul des principaux documents historiques et théoriques du Comité international, ni même ceux relatifs au conflit entre la Workers League (la section américaine du CIQI) et le WRP, qui s’était développé entre 1982 et 1985. J’ai cherché à souligner aussi poliment que possible que Beatty avait beaucoup de travail à faire avant d’être en mesure d’écrire une biographie politique sérieuse de Gerry Healy.

J’ai été particulièrement frappé par le commentaire de Beatty selon lequel Healy était un «orateur public exécrable», car cela indiquait qu’il n’avait même pas visionné un film de Healy en train de parler, disponible sur YouTube, qui témoigne clairement de ses grandes capacités oratoires. Après notre discussion, je lui ai envoyé un lien vers le film.

Beatty n’a pas hésité à insister. Il a écrit à nouveau le 27 janvier 2022:

Bonjour David —

J'espère que vous allez bien. Seriez-vous disponible pour un entretien formel en février? Aidan

J'ai répondu le 31 janvier 2022:

Bonjour Aidan, excusez le retard de ma réponse. La réponse est oui. Mais probablement vers le milieu du mois.

Le 1er février 2022, Beatty a écrit:

Merci, David! Faites-moi savoir quelles dates vous conviennent. À bientôt.

L’interview aurait pu avoir lieu sans le courriel suivant de Beatty, envoyé le 10 février 2022, demandant les coordonnées d’une femme membre de la section britannique du CIQI. J’étais désormais assez certain que son véritable objectif était d’écrire un livre consacré au scandale de 1985 au WRP. J’ai donc envoyé un SMS à Beatty le 17 février 2022 pour lui dire que je ne serais pas disponible pour une interview. Beatty a répondu:

Merci de m'avoir prévenu! Bien sûr, si vous avez du temps à l'avenir, je serai toujours ravi de faire une interview. Bonne chance!

Le 19 mars 2022, j’ai envoyé à Beatty un lien vers une déclaration du WSWS que j’avais écrite sur le contexte historique de la guerre en Ukraine. Il m’a répondu:

Merci de m'avoir envoyé ceci. J'espère que vous allez bien.

La communication suivante de Beatty est arrivée le 4 mai 2022. Elle consistait en un lien vers une déclaration qu'il avait publiée sur Twitter. On pouvait y lire:

Avez-vous déjà été membre de la Socialist Labour League, du Workers Revolutionary Party ou de l'un de leurs groupes apparentés au sein du Comité international de la Quatrième Internationale?

Avez-vous été actif dans la gauche britannique dans les années 1960, 1970 ou 1980 et aviez-vous des contacts avec la SLL ou le WRP?

Seriez-vous intéressé par l'enregistrement d'une interview sur vos expériences et vos souvenirs de ces groupes?

Tous les entretiens seront traités avec le plus grand soin, aucun entretien ne sera rendu public et ils pourront être enregistrés de manière anonyme.

Les entretiens seront utilisés dans le cadre d'un livre sur l'histoire du Workers Revolutionary Party.

Contact : Aidan Beatty - wrporalhistoryproject@gmail.org

Beatty lançait ainsi un appel à tous ceux qui pourraient avoir des salissures à lui communiquer. Le type d’informations que Beatty sollicitait était clairement indiqué par son engagement à traiter les informations avec «le plus grand soin» et à «enregistrer les entretiens de manière anonyme».

En réponse à cette sollicitation peu recommandable, j’ai écrit à Beatty via WhatsApp le 5 mai 2022:

Cela ne produira que des récits furieusement subjectifs et essentiellement anticommunistes de personnes qui ont rompu avec le trotskysme. En tant qu’histoire, cela n’a aucune valeur intellectuelle.

Beatty a répondu quelques minutes plus tard :

Bien sûr, je ne suis pas d’accord, mais je suppose que nous devrons en rester là. Merci de votre temps.

J'ai répondu:

Il pourrait être utile, sans parler du fait que cela soit politiquement révélateur, de demander aux participants quelle a été leur contribution à la construction de la Quatrième Internationale et du mouvement ouvrier révolutionnaire après la scission au sein du WRP.

Beatty répondit:

Je suis vraiment intéressé par les choses positives que les gens ont retirées de leur passage à la SLL ou au WRP, même au milieu de tous les aspects négatifs de ces organisations. Mon invitation à faire une interview est toujours valable, mais je vous en laisse la décision!

J'ai répondu:

Vous semblez avoir décidé d’écrire un autre récit du trotskysme comme d’un mouvement de culte politique, en vous concentrant sur les expériences de diverses personnes cyniques et démoralisées. Pourquoi vous voulez consacrer votre temps à ce genre de projet est, bien sûr, une question à laquelle vous seul pouvez répondre. Mais je ne vois pas ce que cela a à voir avec une histoire politique et intellectuelle sérieuse.

Je ne cherche pas à être impoli envers vous. Mais il ressortait de notre discussion préliminaire que vous n’aviez pas fait une étude sérieuse de l’histoire de la Quatrième Internationale. Vous aviez une compréhension très limitée des questions politiques et théoriques complexes qui sous-tendent les conflits au sein de la Quatrième Internationale et du WRP. Ces questions sont d’une importance contemporaine considérable – par exemple, la nature et les causes de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Peut-être pourriez-vous prendre le temps d’écouter mon discours du 1er mai, qui est publié sur le WSWS.

À ce moment-là, M. Beatty a compris que j’avais vu clair dans son jeu. Il a laissé tomber le masque de la cordialité et a répondu:

Je retire le son de cette conversation, David. Merci de votre temps.

J'ai ensuite envoyé ma réponse finale à Beatty en début de soirée du 5 mai 2022:

Il est maintenant évident que vous m’avez approché de mauvaise foi.

Dans sa «Note sur les interviews», Beatty fait référence à une déclaration que j’ai publiée sur Twitter (maintenant X), dénonçant à la fois l’auteur et son livre. J’ai publié un commentaire le 18 novembre 2022, en réponse à l’annonce de Beatty le 1er novembre 2022 qu’il «signerait aujourd’hui un contrat avec @PlutoPress pour [son] prochain livre sur Gerry Healy et le Workers Revolutionary Party». Il a inclus dans cette annonce un scan de son accord avec Pluto Press. À cette date, le titre prévu du livre était «Split, Split, and Split Again: Gerry Healy and the Workers Revolutionary Party». Il a ensuite changé le titre en Le Parti a toujours raison, une phrase prononcée non pas par Healy mais par un bureaucrate stalinien notoire dans le brillant film de Costa-Gavras, L’Aveu, qui traite des tristement célèbres procès de la Purge de 1952 en Tchécoslovaquie.

Dans ma réponse au message de Beatty, j’ai écrit:

M. Beatty m’a contacté l’année dernière. Il est vite devenu évident que 1) Beatty ne sait pratiquement rien de l’histoire du mouvement trotskyste; et 2) il envisage d’écrire un livre vulgaire, sans aucune valeur politique ou intellectuelle. J’ai rompu tout contact avec lui.

Le contenu du livre de Beatty confirme entièrement mon évaluation.

Mais on ne peut s’empêcher de se poser la question: qu’est-ce qui a poussé M. Beatty à écrire ce livre? La réponse se trouve dans le chapitre de conclusion, intitulé «Épilogue: le Healyisme au XXIe siècle». Il est entièrement consacré à une dénonciation du Parti de l’égalité socialiste et de moi-même personnellement.

John Comaroff (johncomaroff.com)

Le chapitre commence par une attaque calomnieuse contre l’anthropologue de l’Université de Harvard, John Comaroff, qui a fait l’objet de fausses accusations d’abus sexuel. Malgré une campagne au vitriol contre le célèbre universitaire dans le journal étudiant, les allégations se sont révélées sans fondement crédible et Comaroff, alors âgé de presque 80 ans, a été réintégré dans ses fonctions. Beatty, ignorant les faits de l’affaire et son issue, dénonce le World Socialist Web Site pour avoir publié «une apologie servile de Comaroff, malgré les accusations crédibles d’abus sexuel portées contre lui». [136-37] En fait, il n’y avait aucune «preuve crédible» et ce que le WSWS a publié n’était pas une «apologie servile» mais une série d’analyses dévastatrices des origines et du contenu frauduleux de la chasse aux sorcières.

La plus détaillée de ces analyses, rédigée par David Walsh, rédacteur en chef de la rubrique Arts du WSWS, et publiée le 15 mars 2022, s’intitule «La campagne politiquement motivée contre l’anthropologue de Harvard John Comaroff». Après avoir soigneusement exposé les allégations sans fondement, Walsh a examiné les fondements théoriques de la campagne anti-Comaroff, qui reposait sur les affirmations fallacieuses – assidûment promues par les théoriciens du genre qui dominent le discours universitaire – selon lesquelles les prédateurs sexuels sont protégés par une «hiérarchie du privilège». Walsh expliquait:

La «hiérarchie du privilège» devient la formule magique, une puissance englobante qui rend compte de tous les phénomènes. Si une accusation contre un professeur titulaire est niée ou réfutée, cela ne constitue qu’une preuve supplémentaire et accablante de l’existence d’un tel «système de castes universitaires». Quant à une résistance active aux attaques, de la part de Comaroff ou d’autres, elle est interprétée comme un signe indubitable de culpabilité. Les médias et les accusateurs adoptent l’approche des juges du procès de Salem, comme le décrit Emerson W. Baker dans ‘A Storm of Witchcraft’: «Leur stratégie consistait à fabriquer une mentalité du ‘‘coupable qui ne veut pas avouer’’ par quoi ils présumaient que les accusés qui refusaient d’avouer mentaient.»

L’argument de la «hiérarchie du privilège» est circulaire, sans réponse possible et fallacieux. Si un professeur éminent n’aide pas l’étudiant diplômé X ou Y à trouver un emploi, il doit délibérément bloquer le cheminement de carrière de X ou Y. Les faits objectifs du marché du travail et les qualifications académiques exigées sont tout simplement laissés de côté.

Beatty ne cite ni ne répond en aucune façon à l'analyse de Walsh. Au contraire, il se met à calomnier effrontément le WSWS, déclarant:

La défense sans nuance de Comaroff par le site web n’est pas du tout inhabituelle: ils ont également publié des disculpations d’Harvey Weinstein (un violeur condamné), de Woody Allen (accusé de manière crédible d’avoir abusé d’enfants) et de Louis CK (qui a reconnu le harcèlement sexuel extrême d’autres comédiens) et ont un mépris général pour les débats sur le harcèlement sexuel qui ont suivi les diverses révélations de #MeToo. [137]

C’est là un tissu de mensonges. Le WSWS n’a jamais «exonéré» Harvey Weinstein. Dans un article publié sur le WSWS le 12 octobre 2017, David Walsh a écrit:

Nous ne soutenons pas le producteur hollywoodien, un tyran et un agresseur notoire de ses employées, et nous ne défendons pas sa moralité. Si seulement une fraction des allégations de harcèlement sexuel sont vraies, sa conduite est répugnante et peut-être criminelle.

Walsh a toutefois averti ses lecteurs que «Weinstein a des droits constitutionnels, notamment le droit à une procédure régulière et la présomption d’innocence». Il a poursuivi:

L’histoire des scandales sexuels aux États-Unis (et à Hollywood – Charlie Chaplin et d’autres) est longue, mais aucun d’entre eux n’a pris une direction progressiste. Les scandales sexuels sont un mécanisme par lequel d’autres problèmes sont résolus, souvent à la satisfaction de puissants intérêts économiques et généralement avec pour résultat de pousser la politique vers la droite. L’affaire Clinton-Lewinsky, manipulée par la droite et des médias serviles, a occupé le devant de la scène politique américaine pendant près de deux ans et a presque conduit, dans ce qui était une tentative de coup d’État, à l’éviction d’un président élu deux fois.

Ces considérations de principe ont guidé la couverture et la dénonciation par le WSWS du mouvement réactionnaire #MeToo, qui a fomenté une atmosphère de chasse aux sorcières qui a détruit la carrière d’artistes, d’écrivains, d’acteurs et d’autres personnalités publiques – sur la base d’allégations salaces, non prouvées et fausses – à une échelle jamais vue depuis l’ère McCarthy. Quant au cas Weinstein, sa condamnation à l’issue d’une procédure judiciaire bidon supervisée par un juge sans scrupules a été annulée par la Cour d’appel de l’État de New York.

Quel est donc le lien entre la biographie de Healy de Beatty et sa dénonciation du SEP et du WSWS dans l’épilogue? Il s’agit d’une tentative malhonnête de lier le comportement abusif de Healy dans les années 1970 et 1980 à la politique marxiste de classe du Parti de l’égalité socialiste. Il écrit:

Le SEP a ses racines dans la Workers League, autrefois dirigée par Tim Wohlforth et étroitement influencée par Gerry Healy. En développant les idées qu’il a apprises du WRP, le SEP a privilégié la classe sociale au détriment de tout le reste, ce qui a conduit non seulement à minimiser la race et le genre, mais aussi le sexisme et le racisme purs et simples. [137]

À ce stade, les motivations politiques qui sous-tendent le livre de Beatty deviennent plus que claires. Il n’écrit pas en tant qu’historien mais en tant que porte-parole politique du Parti démocrate. Il dénonce le SEP pour ses «perspectives ultra-gauchistes sur les événements actuels et ses attaques de mauvaise foi contre la récente génération de politiciens socialistes démocrates, Alexandria Ocasio-Cortez en particulier, mais aussi Bernie Sanders et Jeremy Corbyn». [137] Ce qu’il appelle la «mauvaise foi» est la critique marxiste bien connue des agents politiques de l’impérialisme dans la classe moyenne.

Comme Healy est mort depuis 35 ans, Beatty doit trouver un autre diable qui puisse être présenté comme la réincarnation de cet esprit maléfique. Beatty tourne donc son attention vers moi, annonçant que «North est circonspect sur sa jeunesse… Même au sein du SEP, on ne sait pas grand-chose de son passé». Afin de corriger cette situation troublante, Beatty se concentre sur des détails de mon enfance et de mes années d’étudiant qui n’ont absolument aucun rapport avec un livre qui prétend être une biographie de Gerry Healy. Ayant ignoré dans ses chapitres précédents les nombreux documents dans lesquels mes différences politiques avec Healy sont consignées, il s’est plutôt tourné vers Ancestry.com pour découvrir des documents sur mes antécédents familiaux.

Il a notamment découvert que mon nom légal (David Green) vient de l’homme que ma mère a épousé après la mort de mon père biologique en 1953. Il a également découvert des informations accablantes: mon grand-père était le compositeur et chef d’orchestre polonais-allemand et juif Ignatz Waghalter (1881-1949), et ma mère était une chanteuse d’opéra qui, après s’être retirée de la scène, a fondé une agence de voyages. Il écrit: «La famille était suffisamment riche pour passer les étés en Suisse. Dès son plus jeune âge, David North a été béni par un capital culturel ainsi que par un capital économique brut.» D’autres plaintes?

(Ceux qui souhaitent en savoir plus sur la carrière de mon grand-père peuvent accéder à l'entrée Wikipédia sur Ignatz Waghalter ou écouter ses compositions sur Spotify ou YouTube.)

Beatty a notamment épluché les archives du Trinity College, que j’ai fréquenté de 1967 à 1971. Il a découvert le fait choquant que, durant ces années, je suis passé du statut de libéral de gauche de plus en plus désenchanté à celui de trotskyste à 21 ans. Il a découvert une interview dans un journal, réalisée en 1968, dans laquelle je déclarais: «Personnellement, je suis très, très insatisfait de la société américaine.» De plus, j’ai été rédacteur en chef du journal du campus et j’ai passé un semestre en 1969 (et non en 1970, comme l’a déclaré Beatty) à travailler comme stagiaire et rédacteur de discours dans les bureaux du sénateur du Parti démocrate anti-guerre Vance Hartke.

Après plusieurs pages d'expositions supplémentaires, comme le fait que le SEP complétait ses revenus en entretenant une société d'impression commerciale, il conclut son réquisitoire par une dénonciation politique au vitriol du WSWS:

Le WSWS a tristement servi de forum aux critiques malhonnêtes du Projet 1619 de Nikole Hannah-Jones, jouant ainsi un rôle improbable dans le déclenchement de la panique de l’extrême droite autour de la Théorie critique de la race en 2021. Malgré toutes ses postures marxistes, le SEP a fourni de multiples plate-formes aux historiens conservateurs, comme Gordon Wood, partageant avec eux un mépris pour l’antiracisme organisé. L’antagonisme de North envers la Théorie critique de la race est suffisamment fort pour qu’il soit prêt à sortir de son personnage et à écrire une lettre sous son nom gouvernemental [!] au magazine des anciens élèves de son alma mater, Trinity Tripod, pour censurer les méthodes d’enseignement racialement conscientes du collège. [147] [Remarque: le Trinity Tripod est le journal du campus, pas son magazine des anciens élèves. Ce n’est qu’un exemple mineur des innombrables erreurs factuelles contenues dans le manuscrit de Beatty.]

Beatty conclut son volume par une dénonciation approfondie du programme trotskyste du SEP:

La vision du monde du SEP repose sur une certaine logique marxiste vulgaire, fondée sur l’affirmation qu’un véritable socialiste ne devrait se préoccuper que d’une conception étroitement définie de la lutte des classes; toute politique de race ou de genre est donc source de division, de distraction et inadmissible. Une hostilité post-1968 à l’égard de la politique d’identité, considérée comme une abdication de la conscience de classe, opère également ici. Le courant très orthodoxe du trotskysme du SEP, hérité de Healy, a également un problème spécifique avec tout mouvement social qui n’opère pas dans le cadre d’une idée circonscrite d’un parti prolétarien de masse de style bolchevique dote d’une direction trotskyste. [147]

Le livre de Beatty est un agression politique, pas une biographie de chercheur. Il y a de nombreuses questions sur l’écriture de ce travail de bidouilleur, qui seront examinées dans une prochaine critique. Il y a de bonnes raisons de croire que M. Beatty n’est pas le seul auteur de cet ouvrage, et qu’il a bénéficié d’une aide substantielle pour rassembler cette masse de matériel malodorant. Comme il est publié par Pluto Press, qui est affilié à une tendance politique hostile au Comité international, on peut raisonnablement supposer que cette entité a fourni à Beatty un soutien substantiel dans les «recherches» et la rédaction de ce volume.

D’ailleurs, on peut se demander comment il a pu trouver le temps de réaliser ce travail alors qu’il était simultanément engagé dans l’écriture et la publication d’un ouvrage majeur, sur lequel il travaillait depuis 2015.

Ses remerciements pour Private Property and the Fear of Social Chaos offrent un compte rendu détaillé du processus qui a conduit à sa publication en 2023. Une grande partie du travail critique final, en particulier la rédaction et l'édition, a eu lieu alors qu'il était censé faire des recherches et rédiger sa biographie de Healy. Comment Beatty a-t-il réussi à combiner les deux projets?

En expliquant le processus qui a conduit à la publication de Private Property and the Fear of Social Chaos, Beatty écrit que «le manuscrit a traversé une longue période où il fut chaotique et bâclé.» [ix] Il note que «deux évaluateurs anonymes ont fourni une série de commentaires constructifs très utiles qui m’ont aidé à transformer une ébauche trop grossière en quelque chose (espérons-le) de plus cohérent.» [ix]

Rien de comparable à ce processus rigoureux n’a précédé la publication de The Party is Always Right. Il n’y a aucune référence à une évaluation de son manuscrit par les pairs. Beatty remercie sa famille immédiate de l’«avoir écouté divaguer sur des anecdotes de l’histoire du trotskysme britannique…» [ix] Et c’est de cela que se compose sa biographie: des «anecdotes» – pour la plupart basées sur des ragots et des ouï-dire – racontées par des ennemis de Gerry Healy et des adversaires acharnés du trotskysme.

Un détail important est l’information, incluse dans les remerciements qui précèdent le texte de son article sur Healy, selon laquelle les «recherches de Beatty en Grande-Bretagne ont été financées par le Programme d’études juives et le Centre d’histoire mondiale de l’Université de Pittsburgh, qui ont eu la générosité de voir les connexions juives, israélo-palestiniennes et mondiales de ce projet». [Italiques ajoutées]. De quelles «connexions» il s’agit ici, n’est en aucun cas évident sans informations supplémentaires de M. Beatty. À cet égard, il faut noter que la principale expertise de Beatty en tant qu’historien réside dans le domaine des études juives et israéliennes. Son premier livre, Masculinity and Power in Irish Nationalism, était une étude comparative – fortement influencée par la théorie académique petite-bourgeoise du genre – du nationalisme irlandais et du sionisme. Un financement substantiel pour ce projet est venu de l’Institut Azrieli, qui est une importante fondation pro-sioniste.

Il n’est pas déraisonnable de conclure que la commande de cette attaque et la rapidité avec laquelle elle a été publiée sont une réaction à la campagne menée par le World Socialist Web Site contre la guerre génocidaire menée par le régime fasciste israélien. C’est peut-être à cela que Beatty faisait allusion lorsqu’il a noté que ses sponsors «ont été suffisamment généreux pour voir les connexions juives, israélo-palestiniennes et mondiales» de son projet anti-trotskyste.

Quelle que soit la vérité, une chose est sûre: en écrivant ce livre misérable, M. Beatty a porté à sa réputation professionnelle un coup dont elle ne se remettra jamais. Malgré le caractère tragique de ses dernières années, Gerry Healy restera dans les mémoires comme une figure importante de l’histoire de la classe ouvrière britannique et de la lutte internationale pour le socialisme. Tout ce qu’il a apporté à la défense de la perspective révolutionnaire contre les trahisons et les crimes des staliniens et des sociaux-démocrates pendant de nombreuses décennies ne sera pas oublié.

Malheureusement pour Beatty, le destin des livres et de leurs auteurs est inextricablement lié. Le mal que les hommes écrivent leur survit. C'est ce livre de Beatty qui restera dans les mémoires.

Pour plus d'informations sur Gerry Healy et l'histoire de la Quatrième Internationale :

Loading