Après l’interdiction de grève

Les cheminots du Canada en lutte politique contre les gouvernements Trudeau et Biden

Cheminots : dites-nous ce que vous pensez de l'intervention du gouvernement contre la grève. Écrivez-nous ; toutes les contributions resteront anonymes.

Une gare de triage de CPKC, le mercredi 21 août 2024 à Kansas City, Missouri [AP Photo/Charlie Riedel]

Quelque 9300 ingénieurs, chefs de train, agents de triage et contrôleurs ferroviaires du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) sont confrontés à une lutte politique totale avec le gouvernement libéral suite à l'interdiction de leur lutte jeudi par le ministre du Travail Steven MacKinnon.

La dictature du patronat sanctionnée par l'État que le gouvernement impose aux chemins de fer prive les travailleurs de leurs droits fondamentaux de faire grève et de voter sur les termes de leur propre convention collective. La seule façon de résister avec succès à cette attaque contre tous les travailleurs est que les cheminots fassent de leur lutte le fer de lance d'une contre-offensive politique de masse de la classe ouvrière pour les droits des travailleurs et des emplois sûrs et bien rémunérés, et contre l'austérité et la guerre.

La décision a été prise par le gouvernement Trudeau en étroite consultation avec l'administration Biden, qui a exigé une résolution du conflit afin de sauvegarder les intérêts du commerce transfrontalier et des chaînes d'approvisionnement à l'échelle du continent. L'annonce a été faite moins de 17 heures après que les compagnies ferroviaires ont mis leurs employés en lock-out à 0h01 jeudi.

MacKinnon s'est entretenu jeudi avec la secrétaire américaine au travail par intérim, Julie Su, avant d'invoquer l'article 107 du code du travail canadien, qui permet au gouvernement d'ordonner au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), non élu, d'imposer l'arbitrage aux parties. La décision a également été prise à la demande des entreprises canadiennes, les principales associations professionnelles dénonçant la grève imminente comme une menace pour la «sécurité nationale».

La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC), l'agent négociateur des travailleurs, a réagi à l'annonce de l'arbitrage obligatoire en levant immédiatement les piquets de grève au CN et en se conformant aux plans de la compagnie de reprendre le travail vendredi.

Au CPKC, où la CFTC a déposé un préavis de grève dimanche dernier suite à l'annonce d'un lock-out, les piquets de grève sont restés en place.

Les représentants des Teamsters ont indiqué qu'ils rencontreraient vendredi des représentants du CPKC et du CCRI pour contester la constitutionnalité de la décision d'interdire la grève au CPKC. Peu avant 10 h, heure de l'Est, la CFTC a déposé un avis de grève de 72 heures au CN, ce qui permettrait aux travailleurs de débrayer lundi matin.

Le fait que la bureaucratie des Teamsters se soit sentie obligée de faire semblant de contester le diktat scandaleux du gouvernement Trudeau reflète sa crainte de perdre le contrôle de la colère bouillonnante des travailleurs du rail face à des conditions de travail dangereuses. Ces derniers ont voté massivement à deux reprises cette année en faveur de la grève, mais ont été empêchés à plusieurs reprises d'agir grâce aux efforts combinés du gouvernement et de la bureaucratie de la CFTC, qui se sont efforcés de confiner le conflit dans le cadre du système des «relations du travail», hostile aux travailleurs.

Dans le même temps, les responsables du syndicat des Teamsters ont clairement indiqué que leur principale préoccupation était de s'assurer qu'ils participent à l'imposition d'un contrat rempli de reculs aux travailleurs dans le cadre de la procédure de négociation.

Le président national de Teamsters Canada, François Laporte, et le président de la Fraternité internationale des Teamsters, Sean O'Brien, ont participé à un rassemblement devant le siège du CPKC, à Calgary, vendredi matin, afin d'appuyer leurs efforts visant à convaincre le gouvernement de les laisser déterminer les concessions qui devraient être imposées aux travailleurs à la table de négociation.

«Nous estimons que la décision de la Cour suprême concernant notre droit de grève est un droit constitutionnel. Et nous croyons que l'application de l'article 107 (du Code canadien du travail) n'est pas valide. Nous examinons nos options concernant cette situation», a déclaré Laporte aux médias vendredi. «La meilleure façon d'obtenir une convention collective est à la table de négociation», a-t-il ajouté.

Au-delà de la demande que les bureaucrates syndicaux soient autorisés à définir les termes définitifs des contrats avec les directions du CN et du CPKC, tout cela n'est que du vent. Le préavis de grève de la CFTC au CN de vendredi comprenait une déclaration selon laquelle les désaccords entre les parties n'étaient pas «insurmontables» et exprimait l'espoir que les pourparlers pourraient empêcher tout «nouvel arrêt de travail». En réalité, la direction exige depuis des mois des concessions importantes, notamment la possibilité de déplacer de force les travailleurs pendant 90 jours et de rendre les horaires plus imprévisibles.

En 2022, les Teamsters ont permis à l'administration Biden de gagner du temps pour interdire une grève, après que les travailleurs eurent rejeté l'accord proposé par une commission de médiation fédérale. Aujourd'hui, la bureaucratie syndicale tente d'isoler les cheminots canadiens. Aucun responsable syndical de l'AFL-CIO aux États-Unis ou du CTC au Canada n'a appelé à une grève de solidarité.

La bureaucratie syndicale est farouchement hostile à la mobilisation politique des cheminots à la tête d'un mouvement plus large de la classe ouvrière pour s'opposer à l'attaque menée par l'État contre leurs salaires et leurs conditions de travail.

C'est parce qu'ils forment une alliance corporatiste avec les grandes entreprises et le gouvernement, dans le but d’étouffer la lutte des classes et de mettre en œuvre le programme de guerre de classe de l'élite dirigeante, à savoir l'austérité à l'intérieur du pays et la guerre impérialiste à l'étranger. O'Brien a poussé sa promotion du nationalisme économique et des mesures de guerre commerciale si loin qu'il a pu prononcer un discours à la convention du Parti républicain fasciste le mois dernier.

Le gouvernement Trudeau a décidé de mettre fin à la grève des cheminots en raison du rôle clé que jouent les chemins de fer dans les intérêts économiques et géostratégiques des deux puissances impérialistes d'Amérique du Nord. CPKC et CN font partie d'un réseau transnational qui s'étend du nord du Canada à la côte américaine du Golfe du Mexique et aux ports mexicains. Ce réseau est essentiel au fonctionnement des chaînes d'approvisionnement dominées par les États-Unis sur tout le continent, qui servent de base d'opérations pour les conflits de Washington et Ottawa contre leurs rivaux, en premier lieu la Chine.

L'ampleur de l'implication de Washington dans la promotion de la fin de la grève imposée par le gouvernement a été soulignée par une déclaration du Conseil économique national (CEN) de la Maison-Blanche, qui a confirmé que son groupe de travail sur la chaîne d'approvisionnement suivait de près la situation depuis des semaines.

«Ce travail, qui implique plusieurs agences du gouvernement fédéral, a comporté une analyse approfondie et un engagement avec l'industrie et d'autres parties prenantes afin d'évaluer et d'atténuer les impacts pour les consommateurs, les entreprises et les travailleurs américains», a indiqué un communiqué de la Maison-Blanche, ajoutant que le CEN «a été en contact avec les parties».

Le Premier ministre Justin Trudeau a défendu haut et fort la tentative de son gouvernement d'imposer une dictature corporative aux chemins de fer nord-américains. «La négociation collective est toujours la meilleure solution. Lorsque ce n'est plus une option prévisible – lorsque nous sommes confrontés à de graves conséquences pour nos chaînes d'approvisionnement et les travailleurs qui en dépendent – les gouvernements doivent agir», a-t-il écrit sur X. En d'autres termes, chaque fois que les travailleurs sont en position de force pour passer à l'offensive et menacer les intérêts fondamentaux de l'élite dirigeante, ils ressentiront toute la force de l'État capitaliste qui cherchera à écraser leur lutte.

Face à l'assaut concerté des gouvernements canadien et américain, les cheminots du CN et du CPKC doivent reconnaître qu'ils sont engagés dans une lutte politique s’ils veulent l'emporter. La tâche urgente est de lutter pour mobiliser politiquement la classe ouvrière en tant que force indépendante contre les barons du rail. Ces oligarques, soutenus par Biden et Trudeau, sont déterminés à imposer des conditions d'esclavage aux chemins de fer afin d'assurer le front intérieur des puissances impérialistes dans une guerre mondiale qui se développe rapidement.

Cela doit inclure un appel spécial aux cheminots américains pour qu'ils luttent ensemble avec leurs frères et sœurs de classe au Canada.

Il faut également dénoncer sans relâche l'alliance anti-travailleurs entre les libéraux, les syndicats et le Nouveau Parti démocratique (NPD). Depuis près de neuf ans qu'il est au pouvoir, le gouvernement libéral a développé une étroite collaboration avec la bureaucratie syndicale, sur laquelle il s'est appuyé pour étouffer les luttes des travailleurs. Au sein du parlement, les libéraux dépendent du NPD, soutenu par les syndicats, pour leur majorité, sans laquelle ils ne seraient pas en mesure de dépenser des dizaines de milliards pour le militarisme et la guerre, et d'interdire les grèves des travailleurs. Ces vérités gênantes n'ont pas empêché le chef du NPD, Jagmeet Singh, de tenter de se poser en ami des cheminots et en critique acharné du gouvernement que son parti soutient. «Les actions des libéraux sont lâches, hostiles aux travailleurs et prouvent qu'ils céderont toujours à la cupidité des entreprises et que les Canadiens en paieront toujours le prix», a-t-il déclaré.

Les cheminots doivent créer des comités de base pour lutter à la fois contre les chemins de fer et la bureaucratie syndicale. Cette lutte doit être menée à l'échelle internationale, les cheminots du Canada, des États-Unis et d'ailleurs devant s’opposer aux politiques d'austérité et de guerre des gouvernements Trudeau et Biden avec un programme socialiste et internationaliste visant à garantir les droits sociaux des travailleurs.

(Article paru en anglais le 24 août 2024)

Loading