Les infirmières du Québec doivent empêcher la FIQ de saboter leur lutte

La confrontation entre le gouvernement ultra-conservateur du Québec et les 80.000 infirmières, infirmières auxiliaires, perfusionnistes cliniques et inhalothérapeutes du Québec – toujours sans contrat de travail après plus de 500 jours – s’est intensifiée dans les derniers jours.

Pendant ce temps, dans l’arrière-scène du théâtre que sont les «négos», la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) finalise les dernières étapes d’une longue trahison afin d’imposer les demandes de concessions du gouvernement.

La semaine dernière, dans un geste de provocation évident, la présidente du Conseil du Trésor, Sonia Lebel, a soumis une «nouvelle» offre qui exigeait des concessions encore plus draconiennes que celles contenues dans celle du mois d’avril. Cette première entente avait été rejetée à 61% par les infirmières, en défi au syndicat qui l’avait recommandée.

La présidente de la FIQ, Julie Bouchard, a dû admettre que la dernière offre représente un «recul», notamment parce que le gouvernement demande encore plus de «mobilité» du personnel et veut transformer les postes stables en postes rotatifs (jour-soir-nuit). Le gouvernement de François Legault exige maintenant de pouvoir déplacer les travailleurs d’une unité de soins à l’autre et d’une région à l’autre dans un rayon de 200 km.

Comme une infirmière a écrit sur Facebook: «Ils cherchent des infirmières stériles, sans enfants, sans mari, sans vie personnelle, sans port d’attache et qui acceptent de travailleur au maximum pour le minimum de salaire».

Des infirmières et d’autres membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé ont manifesté devant l’Assemblée nationale du Québec le 16 mars 2024. [Photo: FIQ Santé/Facebook]

Pour se donner une aura «militante» et neutraliser la colère des travailleurs de la base, la FIQ a enjoint à ses membres de refuser le temps supplémentaire à partir du 19 septembre. Toutefois, le syndicat n’a aucune intention de mettre cette menace à exécution. Bouchard a dit espérer «ne pas se rendre jusqu’à l’arrêt du temps supplémentaire» et qu’elle était prête à négocier «jour et nuit» pour conclure une entente d’ici là.

Quelques jours plus tard, Sonia Lebel a écrit une lettre ouverte à la FIQ, relayée par les grands médias. Dans sa missive, Lebel accusait les infirmières de nuire aux bien-être de la population et réitérait qu’elles devront accepter la mobilité de gré ou de force. «Nous ne pouvons pas renoncer à la mobilité du personnel en soins, car elle est vitale afin d’améliorer l’accès aux soins de santé pour la population», écrit-elle. Au même moment, Québec nommait un conciliateur – une deuxième fois en deux ans – pour soi-disant dénouer l’impasse aux tables.

Sans surprise, la FIQ a réagi par une soumission abjecte. Bouchard s’est dite «extrêmement contente» de reprendre les négociations avec le conciliateur. Elle a aussi qualifié de simple «faux pas» l’offre soumise par LeBel la semaine dernière. Avouant qu’elle se préparait à imposer des reculs, elle a déclaré: «On est capables d’avoir une future convention collective qui va être gagnant-gagnant pour les deux parties».

La présidente de la FIQ a ensuite reconnu à demi-mot qu’elle était prête à capituler sur la question de la mobilité. «On demande d’avoir un encadrement dans le texte de la convention collective, sur la mobilité, qui soit bien balisée», a-t-elle déclaré, en mettant en garde contre «des gestionnaires qui … prennent la mobilité comme mode de gestion».

Qui Bouchard croit-elle berner? Legault lui-même a admis ouvertement que ce que veut le gouvernement, c’est de «pouvoir dire aux infirmières d’aller travailler là où l’on a besoin (d’elles)».

C’est un secret de polichinelle qu’avec la loi 15 et la nouvelle agence Santé Québec (qui place tout le système de santé public de la province sous la gestion d’une poignée de «top guns» du milieu des affaires), le gouvernement va poursuivre ses plans de privatisations et imposer son contrôle quasi absolu sur la main-d’œuvre.

Il n’y aura pas demi-mesure et la FIQ le sait très bien: la mobilité va être appliquée systématiquement et à grande échelle, et la FIQ va offrir ses services comme fournisseur de main-d’œuvre bon marché.

Contrairement aux fausses conceptions que tente de leur imposer la FIQ, les infirmières doivent comprendre que leur lutte est fondamentalement politique. L’hécatombe du système de santé, comme celui de l’éducation et de l’ensemble des services publics, est le fruit de quarante années de coupures sociales et de privatisations orchestrées par les gouvernements péquistes, libéraux et caquistes successifs.

Cette réalité n’est pas limitée aux frontières du Québec. Partout au monde, les gouvernements répondent à la crise historique du système capitaliste en transférant d’immenses richesses sociales du bas vers le haut par le saccage des emplois puis le démantèlement et la privatisation des services publics.

Autrement dit, en Legault et sa Coalition Avenir Québec, les infirmières ne confrontent pas seulement un gouvernement particulièrement de droite, mais tout le programme d’austérité et de guerre de la classe dirigeante québécoise et canadienne.

Pour imposer ce programme réactionnaire, l’élite dirigeante a le plein appui des appareils syndicaux qui torpillent une lutte ouvrière après l’autre et imposent les concessions exigées aux travailleurs qu’ils disent «représenter».

Les infirmières et les travailleurs de la santé sont à la croisée des chemins. Pour contrer les attaques de Legault et son gouvernement d’hommes d’affaires, elles doivent développer une toute nouvelle stratégie.

Elles doivent reconnaître que la FIQ n’a aucune intention de mener la bataille nécessaire et prépare plutôt une trahison monumentale, comme les centrales syndicales du Front commun ont trahi le vaste mouvement de grève des 500.000 travailleurs du secteur public l’an dernier.

Tout au long de la lutte militante de 9 mois, la FTQ, la CSN, la CSQ, l’APTS puis la FAE ont entraîné leurs membres dans un interminable processus de négociation bidon dont les paramètres financiers et les règles du jeu étaient dictés d’avance par le gouvernement Legault.

Refusant de mobiliser le puissant appui populaire qui existait pour défendre les travailleurs et les services publics, les syndicats ont prétendu que lutte n’était pas politique, mais plutôt une simple négociation collective à être réglée aux «tables».

Après avoir piétiné le vote démocratique des travailleurs pour une grève générale, les syndicats ont signé des contrats qui respectaient totalement les demandes de concessions patronales. Usant de leurs vieilles méthodes anti-démocratiques, y compris en gardant les travailleurs dans le noir sur les discussions de coulisses, le Front commun et la FAE ont réussi faire signer de peine et de misère les travailleurs, qui étaient frustrés, mais sans alternative.

Malgré cette défaite amère, les conditions sont toujours favorables pour que les infirmières relancent le combat dans un contexte d’une intensification de la lutte des classes au Québec, au Canada et internationalement.

Le principal obstacle, cependant, demeure la bureaucratie syndicale pro-capitaliste. En opposition à sa politique ruineuse de protestation, il faut une toute nouvelle orientation, basée sur la mobilisation politique de toute la classe ouvrière.

Pour aller de l’avant, les infirmières doivent s’organiser indépendamment de la FIQ et des appareils syndicaux en formant des comités de base. À travers ces comités, elles pourront briser leur isolement et lancer un appel de soutien à leurs véritables alliés: les travailleurs de tous les secteurs au Québec et au Canada, au public comme au privé.

La lutte actuelle peut et doit devenir l’étincelle d’une contre-offensive ouvrière en défense des emplois, des salaires et des services publics de qualité pour tous. Un tel mouvement est indissociable d’une lutte politique plus large pour l’établissement d’un gouvernement ouvrier, voué à la réorganisation des richesses sociales selon les besoins humains et non les profits privés d’une minorité de super riches.

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