Après les succès électoraux du parti d'extrême droite AfD, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates intensifient leur campagne anti-réfugiés

A l'approche des dernières élections des Lands en Saxe et en Thuringe, les partis de l'establishment avaient ouvert la voie au parti d'extrême droite AfD (Alternative pour l'Allemagne) en le dépassant sur son thème central: faire des réfugiés et des immigrés des boucs émissaires. Après les succès électoraux de l'AfD, devenue respectivement deuxième et premier parti dans ces Lands, ils accélèrent cette tendance. L’un après l’autre, les responsables politiques affirment que l' AfD a réussi parce qu’eux-mêmes n’avaient pas été assez durs avec les réfugiés.

Le ministre allemand des Finances Christian Lindner, dont le parti libéral-démocrate (FDP) n’a pas réussi à franchir la barre des 5 pour cent de voix permettant de siéger au parlement de ces Lands, a déclaré sur tous les réseaux sociaux: «Il ne doit pas y avoir de tabous en matière de politique d’asile et d’immigration! C’est la leçon que je tire des élections en Saxe et en Thuringe. Les gens ont le sentiment que la démocratie, le système politique, ne résout pas leurs problèmes, et l’un des problèmes qui figurent en tête de la liste est le contrôle de l’immigration en Allemagne.»

Le chef de file de la CDU, Friedrich Merz, veut déclarer un «état d’urgence national» [Photo by Michael Lucan / wikimedia / CC BY-SA 3.0]

Le chef de file de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), Friedrich Merz, a appelé à la déclaration d’un «état d’urgence national» afin de passer outre à la législation européenne et de refouler tous les réfugiés à la frontière allemande, sans leur permettre de demander l’asile. «L’ordre de notre pays est en danger», a déclaré Merz. «Nous devons avoir le droit de refouler.»

Markus Söder, chef du parti frère bavarois de la CDU, l'Union chrétienne-sociale (CSU), a appelé à ce que le droit d'asile soit en grande partie supprimé de la Constitution.

Le chancelier Olaf Scholz (SPD) s'est targué d'avoir déjà considérablement durci la politique d'immigration et d'avoir organisé, deux jours avant les élections, le premier vol d'expulsions vers l'Afghanistan, où règnent les fondamentalistes talibans. «Nous l'avons fait», s'est-il vanté. C'est «le signe que nous tenons nos promesses». Si tout se passe «super bien», a-t-il dit, on s'entendrait avec la CDU sur d'autres mesures anti-immigrés.

Mardi, a eu lieu au ministère allemand de l'Intérieur un sommet sur les migrations pour discuter, selon les mots de la ministre de l'Intérieur Nancy Faeser (SPD), de «mesures fermes visant à lutter contre l'immigration clandestine». Outre des représentants du gouvernement allemand et des Lands, y participaient des représentants des partis CDU et CSU. Les discussions ont été ouvertes et constructives, a ensuite déclaré Faeser. Certains points discutés de manière confidentielle seraient examinés juridiquement et ensuite discutés plus en détail.

Pour l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), issue d’une scission du Parti de gauche, tout cela ne va pas assez loin. «Un sommet bidon, qui ne réduira pas le nombre de réfugiés, se profile», a-t-elle déclaré au quotidien Die Welt. «Au lieu de pseudo-solutions, nous avons besoin de mettre un terme à l’immigration incontrôlée.» Les réfugiés arrivant de «pays tiers sûrs» et les demandeurs d’asile déboutés devraient voir leurs allocations supprimées, selon Wagenknecht.

L’affirmation que l’AfD gagne en influence parce que le gouvernement ne prend pas de mesures suffisamment rigoureuses contre les réfugiés est un mensonge éhonté. C’est tout le contraire. Il est évident que la propagande 24 heures sur 24 sur les «réfugiés criminels», les «étrangers illégaux», les contrôles stricts aux frontières, les expulsions massives et un «État fort» n’affaiblit pas l’AfD, mais la renforce. Et cela est voulu.

L’affirmation que les gens n’ont rien contre les réfugiés, mais que les communes sont «dépassées» par leur nombre est également fausse. Les communes sont «dépassées» parce que le gouvernement allemand réduit systématiquement les fonds qui seraient nécessaires à l’accueil et à l’intégration des réfugiés, et les investit bien plutôt dans l’armement et le soutien à la guerre.

Selon ses propres chiffres, le gouvernement fédéral a débloqué 34 milliards d’euros pour la seule guerre en Ukraine. En outre, 72 milliards d’euros seront dépensés cette année pour réarmer la Bundeswehr (l’armée allemande) afin de rendre l’Allemagne à nouveau «bonne à la guerre», selon les termes du ministre SPD de la Défense. Ces fonds sont dépensés au détriment de l’éducation, de la santé, des dépenses sociales, de la construction de logements abordables et de la protection de l’environnement.

Avec la guerre en Ukraine, le gouvernement poursuit des objectifs impérialistes: contrôle économique de l’Ukraine et soumission de la Russie et de ses vastes ressources minières. C’est pourquoi Berlin veut à tout prix y empêcher un cessez-le-feu. Pour cela, il est prêt à accepter une catastrophe sociale de grande ampleur. Près de la moitié des réfugiés vivant actuellement en Allemagne – 1,2 million sur 2,6 millions – ont fui cette guerre.

Le SPD, la CDU, le FDP, le BSW et tous les autres partis se mobilisent contre les réfugiés non pas pour affaiblir l’AfD, mais pour la renforcer et favoriser sa politique fasciste et d’extrême droite. Ils font des réfugiés les boucs émissaires de la crise sociale afin de diviser la classe ouvrière et construire un État policier.

Les véritables cibles de cette campagne réactionnaire sont les droits démocratiques et les acquis sociaux de la classe ouvrière et de la jeunesse. L’incitation à un climat de pogrom contre les migrants et la construction d’un État policier, avec des pouvoirs de surveillance et de contrôle en constante expansion, servent à empoisonner le climat social et à réprimer la résistance aux licenciements collectifs, à la baisse des salaires réels et aux coupes sociales, ainsi que l’opposition au militarisme et à la guerre.

La guerre, le réarmement et les inégalités sociales massives sont incompatibles avec la démocratie. Ils nécessitent – comme en 1933, lorsque le président du Reich Hindenburg nomma Adolf Hitler chancelier – l’instauration d’une dictature.

Les attaques contre les migrants servent de levier à la classe dirigeante de tous les pays impérialistes pour faire évoluer la politique officielle vers la droite. Aux États-Unis, Donald Trump et les républicains attisent une atmosphère fasciste anti-immigrés. Ils affirment que la prétendue politique d’«ouverture des frontières» du président Joe Biden et de la vice-présidente Kamala Harris entraînera des millions d’«immigrés illégaux» et de «non-citoyens» qui voteront à l’élection présidentielle de novembre. Les démocrates ne font rien pour contrer cette campagne, mais intensifient eux-mêmes leurs attaques contre les réfugiés.

L’hystérie anti-réfugiés qui sévit actuellement en Allemagne ne peut être comprise que dans le contexte de la catastrophe qui menace l’emploi. La crise chez Volkswagen (VW) où la direction veut pour la première fois fermer des usines entières et ne veut plus atténuer les licenciements de masse en renonçant aux “licenciements économiques”, n’est que la pointe de l’iceberg.

Jeudi dernier, le Financial Times a rapporté sous le titre «L’Allemagne face à un massacre des emplois» que des centaines de milliers d’emplois bien rémunérés étaient menacés. Dans l’industrie automobile, avec ses 780 000 salariés, mais aussi dans l’industrie chimique, qui compte 480 000 salariés, ainsi que dans de nombreux autres secteurs, il ne reste pratiquement plus aucun emploi à l’abri du licenciement.

Jusqu'à présent, les trusts ont toujours fait appel aux syndicats pour réduire les emplois et les salaires sans rencontrer de résistance majeure. Mais ils craignent désormais que les fonctionnaires syndicaux bien payés ne perdent le contrôle. C'est pourquoi elles se tournent de plus en plus vers la dictature et le fascisme.

La lutte contre les licenciements, la guerre et le fascisme exige de rompre avec tous les partis établis et de développer une nouvelle perspective politique. Comme l’explique le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti de l’égalité socialiste) dans sa déclaration “Défendons les réfugiés et les droits démocratiques!» cela nécessite un programme socialiste qui défende les intérêts sociaux et démocratiques de tous les travailleurs:

Les travailleurs originaires d'Allemagne et les immigrés ne sont pas rivaux pour des logements, des emplois et des revenus limités. Ils doivent s'unir pour renverser la redistribution régressive qui, depuis des décennies, concentre des milliards dans les mains de quelques dizaines d'individus. Il faut utiliser les sommes énormes qui sont consacrées à la guerre, à l'armement, aux cadeaux faits aux banques et aux trusts et à la hausse des cours boursiers pour financer l'éducation, les soins de santé, la protection du climat, des emplois sûrs et bien rémunérés et des logements abordables.

Le SGP et ses partis frères au sein du Comité international de la Quatrième Internationale se battent pour cette perspective.

(Article paru en anglais le 11 septembre 2024)

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