Après l'élection d'Anura Kumara Dissanayake, chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) et du National People's Power (NPP), à la présidence du Sri Lanka le 21 septembre, les médias locaux et internationaux ont publié de nombreux articles où il était décrit comme un marxiste, de gauche, un «président amoureux de Lénine» et «un président du peuple» qui avait vaincu les partis traditionnels qui dirigeaient le pays depuis l'indépendance de 1948.
Aucun des auteurs n’a pris la peine d’expliquer comment le JVP, imprégné de chauvinisme cinghalais et voué à la défense du capitalisme, représentait en quoi que ce soit le marxisme ou comment on pouvait considérer son leader Dissanayake comme un admirateur de Lénine, ou un président du peuple.
Les médias du JVP ont par le passé cité Marx et Lénine, hors contexte, pour justifier leur politique et leurs actions pro-capitalistes. Lors des manifestations de 1er mai, les partisans du JVP portaient bien des portraits de Marx, Engels, Lénine et surtout Staline, et ses dirigeants défilaient bien en chemises rouges symbolisant le socialisme.
Mais en réalité, le JVP n’a jamais été un vrai parti marxiste, comme le montre son adhésion à Staline, qui représentait l’antithèse du marxisme. Au 1er mai 2015, alors qu’il se préparait à briguer la présidence, le JVP a abandonné ses chemises rouges et ses portraits. Ceux qui présentent le JVP, ses anciens dirigeants et Dissanayake comme des «marxistes», sans un mot de critique, sont soit des ignares politiques, soit des gens qui trompent délibérément les travailleurs.
Le marxisme d’aujourd’hui est le trotskysme, représenté uniquement par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et ses sections à travers le monde, dont le Parti de l’égalité socialiste au Sri Lanka. Le trotskysme a défendu et développé le marxisme dans la lutte contre le stalinisme, qui rejetait la révolution socialiste mondiale, adoptait la théorie nationaliste réactionnaire du «socialisme dans un seul pays» et fut le fossoyeur de la Révolution d’octobre 1917.
Le JVP est apparu à la fin des années 1960, après la trahison de l'internationalisme socialiste par le Lanka Sama Samaja Party (LSSP), entré dans le gouvernement de coalition bourgeois du Premier ministre Sirima Bandaranaike en 1964. La trahison du LSSP, la première d'un parti se réclamant du trotskysme, a ouvert la porte à l'essor de groupes radicaux petits-bourgeois tels que le JVP et d'organisations tamoules.
Le JVP a été formé par une faction ayant rompu avec l'aile pro-Pékin du Parti communiste stalinien et qui a adopté un mélange éclectique de la guérilla paysanne de Castro, Che Guevarra et Mao Zedong, le tout lié au patriotisme cinghalais et au suprémacisme de la majorité bouddhiste cinghalaise de l'île.
Le JVP fut responsable du soulèvement désastreux de la jeunesse rurale cinghalaise en 1971, qui a fait 15 000 morts, ainsi que d’une campagne réactionnaire contre l’accord indo-sri-lankais à la fin des années 1980, qui a ouvert la voie au massacre de dizaines de milliers de jeunes ruraux. Au cours des trois dernières décennies, cependant, cette formation petite-bourgeoise a été complètement intégrée à l’establishment politique bourgeois et s’est transformée en parti de droite pro-impérialiste.
Au milieu d’une profonde crise économique et sociale, le JVP/NPP s’est présenté à l’élection présidentielle comme un parti anti-establishment, exploitant la haine profonde des masses envers les partis historiques du pouvoir bourgeois – le Parti national uni (UNP) et le Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP), désormais fragmentés en nombreuses tendances – et les dynasties de la classe dirigeante à leur tête.
Dans le même temps, Dissanayake et son parti rassurent la classe dirigeante leur disant qu’ils défendront leurs intérêts. Le dirigeant du JVP a déclaré à maintes reprises son soutien au programme d’austérité drastique du Fonds monétaire international (FMI) et a rencontré des responsables américains et indiens qui ont donné leur aval.
Les élites dirigeantes ont été profondément choquées en 2022 lorsqu’un soulèvement massif prolongé contre des conditions sociales intolérables a forcé le président Gotabhaya Rajapakse à fuir le pays et à démissionner. Aujourd’hui, des sections importantes de ces élites se sont tournés vers le JVP comme moyen de réprimer toute répétition de la part des travailleurs alors que le nouveau gouvernement met en œuvre l’austérité du FMI et crée des ravages plus sévères encore dans leurs conditions de vie.
Lors du soulèvement de 2022, Dissanayake avait souligné l’hostilité du JVP envers les masses en appelant tous les partis parlementaires à s’unir pour mettre fin à une «anarchie» qui créait une profonde «instabilité politique». Il a proposé un gouvernement intérimaire comme moyen de faire dérailler le mouvement de masse et de le subordonner aux manœuvres parlementaires. Le résultat a été l’installation de Ranil Wickremesinghe, politicien pro-américain et pro-FMI, à la présidence, une personnalité sans soutien populaire.
Après avoir remporté la présidence, Dissanayake a convoqué des élections législatives anticipées dans le but d’obtenir une majorité parlementaire et d’établir un «gouvernement fort ». Le JVP a déjà souligné que son gouvernement conserverait la loi draconienne sur la prévention du terrorisme (PTA) dans son arsenal répressif.
Le bras droit de Dissanayake, l'ancien député Lakshman Nipuna Arachchi, a donné la plus claire indication du caractère anti-ouvrier du nouveau gouvernement. Il a déclaré que l'une de ses premières mesures après les élections serait de dissoudre les syndicats affiliés aux partis et de faire des «grèves» une chose du passé. Cette mesure ne vise pas la bureaucratie syndicale mais la classe ouvrière et son droit démocratique à s'organiser et à mener des actions syndicales pour défendre ses intérêts de classe.
Ces déclarations et mesures n’ont rien à voir avec le marxisme et s’apparentent bien davantage à celles d’un parti fasciste qui se prépare à prendre le pouvoir et à écraser toute résistance de la classe ouvrière contre sa politique favorable à la grande entreprise.
Qui est Dissanayake ?
Anura Dissanayake est membre du JVP depuis toujours. Il a été attiré par le JVP au milieu de sa virulente campagne chauvine anti-indienne et cinghalaise contre l'accord indo-sri-lankais de 1987. Il était alors bachelier, de 19 ans, à Thambuttegama Maha Vidyalaya, dans la province du Centre-Nord à prédominance rurale, et a rejoint l'Union des étudiants socialistes (SSU) du JVP par l'intermédiaire de son cousin, Sunil Ayiya.
Le président JR Jayawardene a signé l'accord avec le Premier ministre indien Rajiv Gandhi en juillet 1987, au milieu d'une crise de plus en plus grave provoquée par la guerre communautaire que son gouvernement avait lancée contre les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), une organisation séparatiste. En vertu de l'accord, des troupes indiennes furent envoyées dans le nord et l'est de l'île pour désarmer les LTTE, tandis que des pouvoirs limités devaient être accordés aux élites tamoules en établissant un système de conseils provinciaux.
Dans la continuité de son soutien fervent à la guerre communautaire, le JVP s’opposa farouchement à l’Accord sur la base du nationalisme et du chauvinisme, déclarant qu’il s’agissait d’une «trahison de la mère patrie». Il dénonça «l’impérialisme indien» et déclara que la décentralisation des pouvoirs diviserait la nation.
Le régime UNP de Jayawardene avait interdit le JVP en juillet, prétendant à tort qu'il avait été à l'origine du violent pogrom anti-tamoul de 1983 qui avait déclenché une guerre civile. En réalité, les nervis de l'UNP étaient à l'origine de la vague de violences anti-tamoules à Colombo et dans d'autres régions de l'île.
En réponse à l'accord, le JVP lança une campagne patriotique fasciste contre le gouvernement de Colombo sous le slogan «La patrie ou la mort!» Son aile militaire clandestine, le Deshapremi Janatha Vyaparaya (DJV) ou Mouvement patriotique du peuple, organisa des manifestations. Des milliers d'opposants politiques, de dirigeants syndicaux et étudiants et de travailleurs opposés à leur campagne furent assassinés par des hommes armés du JVP.
Le JVP tua trois membres de la Ligue communiste révolutionnaire (RCL), le précurseur du Parti de l'égalité socialiste (SEP): R. A Pitawela le 12 novembre 1988, PH Gunapala le 23 décembre 1988 et Greshan Geekiyanage le 24 juin 1989. La RCL s'est opposée à l'accord, avertissant qu'il était dirigé contre la classe ouvrière et appelant à l'unité des travailleurs cinghalais et tamouls sur la base d’une politique socialiste.
Jayawardene et son successeur, Ranasinghe Premadasa, ont exploité la campagne du JVP comme prétexte pour déclencher un règne de terreur visant non seulement à s'attaquer au JVP mais aussi à réprimer les troubles généralisés parmi les jeunes ruraux. Quelque 60 000 jeunes ont été massacrés, souvent de la manière la plus horrible, par l'armée et ses escadrons de la mort.
Rohana Wijeweera, le dirigeant du JVP, et 13 autres dirigeants du Bureau politique ont été assassinés, ainsi que des centaines de dirigeants et militants locaux. Une exception notable a été Somawansa Amarasinghe, membre du Bureau politique, qui a fui le pays et deviendra le futur dirigeant du parti.
La RCL et le CIQI ont condamné l'assassinat de Wijeweera et d'autres dirigeants ainsi que le massacre de jeunes ruraux et ont lancé une campagne internationale contre la répression étatique meurtrière du gouvernement Premadasa.
La famille de Dissanayake fut harcelée et menacée par les forces de sécurité et leurs complices, comme des dizaines de milliers d'autres familles rurales. Cependant, on ignore ce que faisait Dissanayake à l'époque.
Une introduction sur le site officiel du président indique seulement qu'il a «participé à de vastes manifestations contre l'accord indo-sri-lankais signé par le gouvernement de l'époque». Il était membre du JVP/DJV sous le pseudonyme d'Aravinda alors que le JVP menait ses activités violentes à travers le pays.
Bien que Dissanayake et le JVP aient cherché à se distancer de cette campagne meurtrière et chauvine, ils ont toujours salué ceux qui l'ont menée et y ont participé comme des «héros patriotes». Quelles étaient exactement les activités de Dissanayake pendant cette période?
La campagne virulente du JVP contre l’Accord est un avertissement des méthodes que le nouveau gouvernement utilisera en réponse à toute menace contre la «Mère Patrie» – surtout de la part de la classe ouvrière.
Dissanayake et le regroupement du JVP
Alors que le règne de terreur du gouvernement UNP s'atténuait, Dissanayake a pu entrer à l'Université Kelaniya en 1992 pour étudier les sciences physiques et est devenu un activiste de l'aile étudiante du JVP.
Il fut contacté par Amarasinghe, qui vivait en exil à Londres, après avoir fui le pays en mars 1990 avec l'aide d'un membre influent de l'UNP et de responsables de la Haute Commission indienne. Amarasinghe n'a jamais expliqué pourquoi il avait reçu une telle aide de forces auxquelles le JVP était profondément hostile.
Amarasinghe rassemblait des cellules du JVP dans le but de relancer le parti. Au cours des deux décennies suivantes, Dissanayake devint son bras droit, assurant son ascension au sein du parti, qui adopta une orientation ouvertement pro-capitaliste et s'intégra à l'establishment politique de Colombo.
Ce processus illustrait les transformations politiques qui se déroulaient à l’échelle internationale dans le contexte de la crise du stalinisme, qui culmina avec la dissolution de l’Union soviétique en 1991. Partout dans le monde, les formations petites-bourgeoises nationalistes fondées sur la «lutte armée» ont échangé leurs fusils automatiques et leurs treillis contre des costumes d’affaires et des sièges parlementaires ou places dans les conseils d’administration des entreprises.
Des sections de la classe dirigeante se sont également tournées vers le JVP comme vers un outil utile pour contenir et réprimer l'opposition parmi les travailleurs et les jeunes, en particulier avec l'extension de la guerre communautaire après l'assassinat du président Premadasa par les LTTE, le 1er mai 1993. Chandrika Kumaratunga, qui prit la direction du SLFP et se préparait à se présenter à l'élection présidentielle, figurait en bonne place parmi elles.
Dissanayake, ainsi que Wimal Weerawansa et Tilwin Silva, ont pleinement soutenu le changement et l'abandon de leur précédente rhétorique anti-impérialiste et, avec le soutien d'Amarasinghe, ont rapidement grimpé les échelons de la direction du JVP.
En 1997, Dissanayake est nommé au Comité central du JVP et l'année suivante au Bureau politique, l'organe décisionnel suprême du parti. En 2000, il entre au Parlement via la liste nationale du JVP et devient rapidement son principal porte-parole.
Avant son retour au Sri Lanka en novembre 2001, Amarasinghe avait révélé dans une interview sur le site Lacnet.org pourquoi que le JVP renonçait à son ancien baratin marxiste, dérivé du stalinisme. «Le marxisme était devenu démodé vers la fin du XIXe siècle », a-t-il déclaré. « Nous ne sommes pas des marxistes démodés. Nous sommes ouverts à l’influence de tout autre ‘isme’ qui nous apporte de nouvelles idées.»
Abandonnant la rhétorique anti-impérialiste du parti, le leader du JVP Amarasinghe écrivit au président américain George W. Bush pour saluer sa déclaration de «guerre au terrorisme», après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et pour demander le soutien de Bush pour combattre le «terrorisme des LTTE» au Sri Lanka.
Le manifeste électoral du JVP pour les élections parlementaires de décembre 2001 déclarait que le Sri Lanka devait s'aligner sur la «guerre contre le terrorisme» de Bush et «utiliser pleinement cette situation avantageuse» pour «éradiquer le terrorisme des Tigres [LTTE] au Sri Lanka».
Le manifeste mettait également en évidence l'orientation pro-marché du JVP. Il promettait des concessions, notamment des exonérations fiscales généreuses pour les investisseurs et insistait sur le fait que les activités syndicales ne devaient pas susciter l'hostilité du public, c'est-à-dire en particulier de l'élite patronale. Dans une interview accordée à Business Today, Tilwin Silva mettait en garde contre «de graves troubles parmi la main-d'œuvre» et promouvait la discipline stricte imposée à la classe ouvrière par le régime chinois comme modèle de forte croissance.
Les dirigeants du JVP ont signé un accord avec Chandrika Kumaratunga pour la soutenir à l'élection présidentielle de 1994 et ont retiré leur propre candidat sous prétexte que Kumaratunga avait promis d'abolir la présidence exécutive autocratique, ce qu'elle a aussitôt ignoré une fois au pouvoir.
Le JVP s'est rallié à Kumaratunga après que plusieurs de ses députés furent partis à l’UNP, ce qui lui a permis de former un gouvernement. En novembre 2003, sous la pression du JVP, la présidente Kumaratunga prit le contrôle de trois ministères importants gérés par le gouvernement UNP, puis limogea ce gouvernement en mars 2004.
Le JVP rejoignit le SLFP pour former une nouvelle alliance électorale, l'Alliance pour la liberté du peuple uni (UPFA) pour participer aux élections parlementaires d'avril 2004. Après la victoire de l'UPFA et l’obtention de 39 sièges par le JVP, ce dernier s'est vu attribuer quatre postes ministériels, dont celui de Dissanayake, qui est devenu ministre de l'Agriculture, des Terres, de l'Irrigation et de l'Élevage.
Vijitha Herath, KD Lal Kantha et Chandradasa Wijesinghe devinrent respectivement ministres des Affaires culturelles, de l'Économie rurale et de la Pêche et des Ressources aquatiques. Quatre autres membres du JVP ont occupé les postes de vice-ministres dans les mêmes ministères.
Le gouvernement de Kumaratunga cherchait désespérément à obtenir le prêt de renflouement du FMI qu'il avait suspendu plus tôt alors qu'elle cherchait à torpiller les efforts du gouvernement dirigé par l'UNP pour parvenir à un accord de paix avec les LTTE.
Kumaratunga a fait savoir qu’elle était prête à imposer l’austérité du FMI en supprimant les subventions sur les produits de première nécessité et en frappant durement les travailleurs – mesures auxquelles les ministres du JVP ne se sont pas opposés. Les prix de l’essence, du gaz de cuisine, du riz – la principale denrée de base du pays – et du lait en poudre ont tous augmenté. Le JVP s’est vanté de vouloir rénover 1 000 réservoirs ruraux, ou réservoirs d’eau, et des installations pour les agriculteurs et les pêcheurs, mais rien ne s’est concrétisé.
Le JVP est entré en conflit avec Kumaratunga pour des raisons racistes après le tsunami de décembre 2004 qui dévasta une grande partie de la côte sud de l'île. Plus précisément, sa structure de gestion opérationnelle post-tsunami (PTOMS) pour distribuer l'aide aux victimes comprenait le centre de réhabilitation tamoul conçu pour les victimes du tsunami de décembre 2004, dont le JVP déclarait qu’il porterait secours aux «terroristes des LTTE». Les ministres du JVP ont quitté le gouvernement.
Fin 2005, le JVP conclut un nouvel accord avec le candidat du SLFP à la présidence, Mahinda Rajapakse, après que celui-ci se soit engagé à mettre fin à l'accord de cessez-le-feu avec les LTTE. Dissanayake et d'autres dirigeants du JVP ont fait campagne pour l'élection de Rajapakse mais n'ont pas rejoint le gouvernement.
Au parlement, ils ont soutenu ses budgets de guerre et la prolongation des mesures d'urgence répressives. Le JVP l'a poussé à rétablir la loi draconienne sur la prévention du terrorisme (PTA) et a contribué à réprimer la lutte des classes, tout cela au nom de la guerre.
Dissanayake devint le chef du groupe parlementaire du JVP lorsque le parti limogea Wimal Weerawansa en mai 2008 après qu'il ait rejoint le gouvernement Rajapakse. Au lendemain de la défaite des LTTE en mai 2009, le JVP a pris ses distances avec Rajapakse tout en défendant avec force les crimes de guerre commis par l'armée, notamment contre des dizaines de milliers de civils au cours des derniers mois de la guerre.
Lors de l'élection présidentielle de 2010, le JVP s'est allié à l'UNP en soutenant comme « candidat commun» l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Sarath Fonseka. Malgré sa responsabilité, aux côtés du gouvernement Rajapakse, dans les atrocités commises par l'armée, le JVP a présenté Fonseka comme «l'alternative démocratique» à Rajapakse.
Dissanayake devient chef du parti
Dissanayake est devenu le chef du parti en février 2014, remplaçant Amarasinghe qui le dirigeait depuis 1992. La majorité du comité central aurait favorisé Dissanayake et aurait contraint Amarasinghe à se retirer.
Le changement de direction a été associé à une tentative de présenter le JVP comme un parti respectable, tant au Sri Lanka qu’à l’étranger, qui avait renoncé à la violence passée et défendait « l’unité nationale». Le soutien aux grandes entreprises et au capital international est une fois de plus apparu au premier plan.
Lors d'une réunion de la diaspora cinghalaise à Londres en mai 2014, Dissanayake s'est excusé pour la première fois au nom du parti pour la violence du JVP dans sa campagne chauvine contre l'Accord, de 1988 à 1990. Dans le même temps, il a cependant justifié les actions du parti en affirmant qu'il ne s'agissait que d'une réaction à la répression du gouvernement UNP, ce qui était un mensonge.
Dissanayake a cyniquement accusé les gouvernements passés d’avoir créé les conflits ethniques, ce qui, bien que vrai, a délibérément occulté le rôle du JVP dans le soutien à nombre de ces gouvernements et son exigence d’une guerre implacable contre le «terrorisme des LTTE».
Alors qu'ils attaquaient Rajapakse pour son communautarisme cinghalais, sa corruption et son régime dictatorial, le JVP et son nouveau chef se sont joints à l'UNP, un parti de droite, dans le complot soutenu par Washington pour le renverser. Le haut dirigeant du SLFP, Maithripala Sirisena, a rompu les rangs avec Rajapakse et, avec le soutien d'une alliance dirigée par l'UNP, a remporté l'élection présidentielle de janvier 2015. Les États-Unis avaient soutenu la guerre de Rajapakse contre les LTTE, mais étaient hostiles à son penchant pour Pékin en matière d'aide financière et d'armes.
Bien que le JVP n’ait pas directement appelé à voter pour Sirisena, il a lancé une campagne électorale véhémente exigeant le départ de Rajapakse. Pour ne pas émietter le vote, le JVP n’a pas présenté son propre candidat à la présidentielle.
Dans une interview au Daily Mirror du 1er décembre 2014, Dissanayake a déclaré: «Tout le monde devrait travailler ensemble pour renverser cette dictature [de Rajapakse]… [même si] nous ne serions pas majoritaires dans un gouvernement qui se formerait si l’opposition gagnait.» Il a notamment souligné: «Nous n’avons aucun problème avec le fait que [le leader de l’UNP] Ranil (Wickremesinghe) devienne Premier ministre.»
Faisant allusion à la pression exercée par les États-Unis pour évincer Rajapakse, Dissanayake a déclaré que l’un des problèmes à résoudre était «le risque d’être isolé sur la scène internationale».
Le JVP n’a pas rejoint le gouvernement après les élections. Cependant, Dissanayake a été nommé au Conseil exécutif national de 13 membres nommé par Sirisena pour soutenir son gouvernement minoritaire jusqu’après les élections parlementaires. Le chef du JVP a salué la fausse posture de bonne gouvernance de Sirisena et Wickremesinghe, qui est devenu Premier ministre, et n’a eu aucun scrupule à propos de leur changement brusque de politique étrangère à l’égard de Washington.
Le gouvernement d'«unité nationale» Sirisena-Wickremasinghe a mis en place un programme d'austérité brutal qui a provoqué une opposition généralisée parmi les travailleurs, les étudiants et les pauvres des zones rurales. C'est seulement à ce moment-là que le JVP a adopté une attitude critique à l'égard du gouvernement tout en bloquant les luttes des travailleurs pour empêcher toute menace à son pouvoir.
L’attaque terroriste du dimanche de Pâques 2019 contre des églises et des hôtels de luxe par un groupe islamiste soutenu par l’EI a clairement mis à nu les prétentions du JVP et de Dissanayake à avoir abandonné leur politique communautaire du passé. S’exprimant au parlement, Dissanayake a non seulement dénoncé le «terrorisme» musulman, mais a également accusé l’ensemble de la communauté musulmane, déclarant: «Cet embryon destructeur se développe dans l’utérus musulman.»
En août 2019, la direction du JVP a annoncé la formation d'un front électoral, le Pouvoir populaire national (NPP), pour attirer des couches de la classe moyenne supérieure afin d'obscurcir davantage son passé et de lui donner une légitimité.
Une récente chronique politique parue dans le Sunday Times le 20 octobre a mis en lumière la collusion des cercles dirigeants derrière la création du NPP. Quelques mois avant les élections de 2019, Dissanayake a rencontré les principaux dirigeants de l'UNP dans le cadre d'un dialogue instauré sous le régime de Sirisena-Wickremesinghe.
Le Sunday Times explique ainsi: «Au cours du dialogue, l’un des piliers de l’UNP… a proposé… de rebaptiser le parti tout en conservant l’identité du JVP. La suggestion de conserver l’identité visait à satisfaire les gens ordinaires. Il a déclaré qu’un nouveau visage serait attrayant au niveau national et pour le monde extérieur.»
Il a également conseillé aux dirigeants du JVP qu'un tel changement de marque « détournerait également les critiques sur le passé du JVP relatif aux incidents violents».
Ce changement d'image a donné naissance au NPP, qui s'est formé autour du JVP avec des universitaires en vue et des activistes d'ONG de premier plan, dont le Dr Harini Amarasuriya , aujourd'hui Premier ministre. Au cours des cinq années suivantes, le NPP s'est élargi pour inclure des universitaires, des professionnels, des hommes d'affaires et d'anciens officiers supérieurs de l'armée.
Durant cette période, notamment après le soulèvement de masse de 2022, le JVP/NPP a développé des relations étroites dans les milieux diplomatiques de Colombo, notamment avec l’impérialisme américain.
L’ambassadrice américaine Julie Chung, après avoir rencontré Dissanayake et d’autres dirigeants au bureau du JVP en juillet 2022, a déclaré: «Pour moi, le JVP est un parti important. Ils ont une présence croissante. Ils trouvent un écho auprès du public ces derniers temps […] J’ai pensé qu’il était de mon devoir de vraiment me connecter avec les dirigeants du JVP, de personne à personne, et pas seulement en tant que partie du gouvernement américain».
L’histoire du JVP, où Dissanayake a joué un rôle particulier dans le fait d’abandonner la démagogie socialiste et de le transformer en instrument politique pro-impérialiste de la classe dirigeante sri-lankaise, est un avertissement aux travailleurs et aux jeunes. Le gouvernement Dissanayake est totalement déterminé à imposer le fardeau de la profonde crise économique aux travailleurs et aux pauvres et à réprimer impitoyablement toute opposition, y compris par des mesures d’État policier.
Le Socialist Equality Party (SEP, Parti de l'égalité socialiste), section sri-lankaise du CIQI, appelle les travailleurs à se préparer politiquement aux batailles de classe qui s'annoncent contre l'assaut du gouvernement Dissanayake contre leurs droits sociaux et démocratiques fondamentaux. Ce qu'il faut, c'est la mobilisation d'un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, rassemblant les pauvres et les jeunes des zones rurales, en opposition au JVP/NPP et à tous les autres partis de l'establishment politique bourgeois et à leurs partisans de la fausse gauche, sur la base du socialisme international.
Le SEP intervient dans les élections générales du 14 novembre, en présentant 41 candidats dans trois circonscriptions électorales: la capitale Colombo, Jaffna au nord et Nuwara Eliya dans la zone centrale des plantations. Nous appelons les travailleurs et les travailleurs ruraux à former des comités d’action, indépendants des syndicats et de tous les partis bourgeois, pour défendre leurs intérêts de classe et faire avancer la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan mettant en œuvre une politique socialiste. Nous appelons les travailleurs, les jeunes et les pauvres des zones rurales à soutenir notre campagne, à voter pour nos candidats et à nous rejoindre dans la lutte pour cette perspective.
(Article paru en anglais le 5 novembre 2024)