Les élections québécoises ont été l’occasion pour la classe dirigeante d’intensifier une campagne anti-immigrants qui est en cours depuis près de deux décennies.
Au moment de déclencher les élections, le premier ministre François Legault, qui dirige la Coalition avenir Québec (CAQ) de droite, a fait de l’immigration un enjeu central en implorant les électeurs de lui donner une majorité claire afin d’être en position de force pour négocier avec l’ordre fédéral le rapatriement des pleins pouvoirs en matière d’immigration.
Le ton était donné à une campagne électorale profondément réactionnaire qui a culminé dans la dernière semaine alors que trois des cinq principaux partis politiques ont été embourbés dans des controverses liées à des déclarations anti-immigrants.
Dans une allocution prononcée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Legault a affirmé qu’il serait «suicidaire» pour la «nation» québécoise d’accueillir plus d’immigrants puisqu’ils sont responsables du «déclin du français». Cela faisait suite à des propos antérieurs où il associait les immigrants au crime et à la violence et laissait entendre que ces derniers constituaient une menace pour les «valeurs québécoises».
Il y a aussi eu les propos du ministre caquiste du Travail et de l’Immigration, dela Francisation et de l'Intégration, Jean Boulet, qui a dû s’excuser après avoir déclaré lors d’un débat que «80% des immigrants [ne] travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise». Ces affirmations sont complètement fausses puisque les immigrants ont un taux de chômage similaire à celui des personnes nées au Québec et que plus de 80% parlent le français.
Le premier ministre a réagi en disant que Boulet s’était «disqualifié» du poste de ministre de l’Immigration si le gouvernement caquiste était réélu, tout en le maintenant comme candidat dans la circonscription de Trois-Rivières et en laissant ouverte la possibilité qu’il détienne un autre portefeuille ministériel. C’est dans ce contexte que Legault a fait sa remarque sur le caractère «suicidaire» d’une immigration trop élevée.
Les autres partis se sont emparés de ces déclarations odieuses, qui ont été largement présentées dans les médias comme de simples «erreurs» ou «gaffes», pour se donner des airs pro-immigration.
Presque immédiatement, le caractère frauduleux de ces prétentions a été mis à nu dans le cas du Parti québécois (PQ), qui prône le projet réactionnaire d’une république capitaliste du Québec. Au cours du dernier demi-siècle, le PQ a été l’un des deux partis traditionnels de gouvernement de la classe dirigeante. Mais après plusieurs mandats au cours desquels il a imposé de brutales mesures d’austérité capitaliste, sa base électorale a fondu et il a réagi en adoptant une forme plus extrême de nationalisme et de chauvinisme québécois.
En quelques jours, les médias ont révélé que quatre candidats péquistes avaient fait des commentaires islamophobes ou racistes dans un passé récent. Paul St-Pierre Plamondon, le chef du PQ, s’est porté à la défense de deux candidates qui ont, dans un cas, remis en doute le profilage racial par la police et, dans l’autre, tenu des propos grossièrement islamophobes. De façon absurde, St-Pierre Plamondon, a prétendu que la candidate Lyne Jubinville n’a pas fait preuve d’islamophobie lorsqu’elle a demandé «Pourquoi les hidjabs envahissent de plus en plus notre paysage public?» et déclaré «l’islam, ce n’est pas nous».
Puis, vendredi, les médias ont révélé qu’un couple qui se présente pour le PQ dans deux circonscriptions différentes a affirmé dans des publications Facebook que les femmes musulmanes ne sont pas intelligentes ou encore que l’Islam est incompatible avec la démocratie. Pour sauver la face, St-Pierre-Plamondon les a exclus du parti.
Gabriel Nadeau-Dubois, co-chef de Québec Solidaire (QS), a dénoncé de façon timide les déclarations de Legault et de Boulet en les accusant de présenter l’immigration de façon «négative». Nadeau-Dubois, qui tente de se défaire de son passé «radical» de leader de la grève étudiante de 2012 et de se faire accepter de l’establishmentcapitaliste, s’est bien gardé de prononcer les mots «chauvinisme», «anti-immigrants» ou «racisme» dans ses «critiques». En réaction à des propos similaires tenus par Legault en 2018, la co-cheffe de QS, Manon Massée avait soutenu que le multimillionnaire n’est pas «un homme raciste».
La controverse entourant le chemin Roxham a également été remise à l’avant-plan durant la campagne.
Depuis 2017, des milliers de migrants ont traversé la frontière américano-canadienneà ce point de passage non-officiel situé près de Saint-Bernard-de-Lacolle pour fuir les menaces de déportation des gouvernements Trump et Biden et demander l’asile au Canada.
La classepolitique québécoise, qui exige du gouvernement fédéral de Justin Trudeau qu’il «ferme» le chemin Roxham, a réagi avec hostilité à une récente enquête de Radio-Canada selon laquelle le gouvernement Trudeau y aurait dépensé un demi-milliard de dollars en infrastructure et services pour l’accueil des réfugiés.
S’inspirant de l’aspirant-dictateur Trump, le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a condamné «l’immigration illégale» et évoqué l’idée de construire un mur à la frontière. Bien qu’exprimée de façon particulièrement brutale, la position Duhaime est partagée par l’ensemble de l’establishmentqui qualifie les migrants du chemin Roxham, des demandeurs d’asile exerçant un droit reconnu par les conventions internationales, d’«immigrants illégaux».
Cette agitation n’est pas un phénomène nouveau aux élections de 2022. Elle s’inscrit dans un tournant de toute la classe dirigeante québécoise vers le chauvinisme dans les 15 dernières années.
À partir de 2007, prenant prétexte des accommodements supposément «déraisonnables» accordés aux minorités religieuses, la classe dirigeante a lancé une campagne agressive ciblant les immigrants et les musulmans à laquelle les grands médias et les partis politiques ont participé avec enthousiasme, y compris QS qui a toujours maintenu qu’il s’agit d’un «débat légitime». Le Parti libéral du Québec (PLQ), qui était au pouvoir lors de la «crise» des accommodements «déraisonnables», puis le PQ après lui, ont proposé une série de lois chauvines sur la «laicité» ou sur les «valeurs québécoises».
Après son élection en 2018, la CAQ a fait adopter plusieurs lois réactionnaires, dont la Loi 21 sur la «laïcité de l’État» qui interdit les signes religieux aux fonctionnaires et aux enseignants «en position d’autorité» et prive les femmes musulmanes complètement voilées de soins de santé.
La première loi importante adoptée par la CAQ après son arrivée au pouvoir visait à réduire drastiquement le nombre d’immigrants admis au Québec et les obliger à obtenir une «attestation d’apprentissage des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises».
Ce ne sont pas là les seules barrières à l’immigration imposées par la CAQ durant son mandat. La semaine dernière, le quotidien La Pressea révélé que le ministère québécois de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a modifié son Guide des procédures d’immigration en décembre 2021 afin de retirer le droit des candidats à l’immigration d’être accompagnés d’un avocat lors de leur entrevue de sélection, à moins d’en faire la demande et de démontrer des «motifs convaincants qui justifient la présence d’un avocat». Le MIFI a jusqu’à présent refusé toutes ces demandes.
Le droit d’être assisté d’un avocat est un droit démocratique fondamental et une composante essentielle de l’équité procédurale. Il était reconnu aux candidats-immigrants depuis 1984.
L’élite dirigeante québécoise utilise l’agitation xénophobe pour diviser les travailleurs sur des lignes religieuses, ethniques et linguistiques, faire des immigrants les boucs-émissaires de la crise capitaliste et détourner l’attention des questions cruciales pour la classe ouvrière – l’assaut sur les salaires, la pandémie, les coupes budgétaires, l’inflation, la guerre.
Cela fait partie d’une promotion active de l’extrême-droite par la classe dirigeante sur une échelle internationale, comme en atteste le mouvement fasciste de Trump aux États-Unis, l’arrivée de Marine Le Pen aux portes du pouvoir en France ou la récente victoire électorale des héritiers de Mussolini en Italie – tous des mouvements qui placent la lutte contre l’immigration au cœur de leur programme ultra-réactionnaire.
En demandant le rapatriement des pouvoirs en matière d’immigration et en attaquant la gestion du chemin Roxham par le gouvernement fédéral, la classe politique québécoise cherche également à provoquer un conflit avec Ottawa afin d’attiser le virulent nationalisme québécois qui est une base idéologique essentielle de son emprise politique sur la classe ouvrière.
L’attitude du gouvernement Trudeau à l’égard de l’immigration n’est guère différente, comme l’a démontré la question des «anges gardiens», ces migrants qui ont répondu à l’appel des gouvernements provinciaux pour aller prêter main-forte aux travailleurs du système de santé au plus fort de la pandémie. Devant le soutien populaire que leur courage a suscité, Ottawa et Québec ont annoncé en grande pompe en août 2020 un accord censé régulariser leur situation. En réalité, l’entente était conditionnelle et limitée au point de ne viser qu’une petite portion des «anges gardiens». Deux ans plus tard, très peu ont vu leur statut régularisé et plusieurs ont été déportés ou sont menacés de l’être.
La tentative de Trudeau de se présenter comme favorable aux immigrants est hypocrite. Le Canada porte une grande responsabilité dans la forte augmentation des réfugiés à l’échelle internationale. Non seulement il aide le FMI à imposer des coupes budgétaires massives dans les pays appauvris en échange d’une «aide» financière. De plus, il participe aux interventions et guerres impérialistes qui ont déstabilisé des sociétés entières, que ce soit en Haïti, en Amérique latine ou au Moyen-Orient.
En 2020, en pleine pandémie de la COVID-19, le gouvernement Trudeau a expulsé un nombre record de réfugiés. Il a négocié un accord sur les tiers pays sûrs pour pouvoir renvoyer les migrants du chemin Roxham aux États-Unis, ce qui viole les droits des réfugiésselon la Cour fédérale.
Sous un masque d’ouverture aux réfugiés, l’impérialisme canadien dispose en fait de plusieurs «murs» naturels et politiques – trois océans, le mur érigé par Washington à sa frontière avec le Mexique, les pressions sur ce dernier pour qu’il endigue le flot des migrants d’Amérique centrale – pour ne pas avoir à faire face au grand nombre de personnes déracinées par les guerres, la dévastation environnementale et les programmes de restructuration économique du FMI.
Trudeau utilise la question de l’immigration pour donner une image «progressiste» à sa politique de droite qui comprend une vaste augmentation des dépenses militaires, des mesures économiques favorisant la grande entreprise et un appui inconditionnel à la guerre contre la Russie en Ukraine.